06/01/2011

Zeitkratzer :: Whitehouse Electronics

Pas du genre à céder devant la difficulté et toujours à l’affut d’un coup d’éclat, l’ensemble berlinois Zeitkratzer poursuit son entreprise de décloisonnement des genres en ouvrant un peu plus son répertoire au chaos bruitiste. Après s’être attaqué à l’intouchable Metal Machine Music, il accroche à présent la musique de Whitehouse à son tableau de chasse.

Au début des années 1980, qui aurait parié que les joyeux drilles responsables de titres comme « Ultrasadism », « Rapeday », « Shitfun » ou « Buchenwald » verraient, trente ans plus tard, leur œuvre interprétée dans le cadre d’un festival de musique contemporaine ? Ce fut pourtant le cas lors de l’édition 2009 de celui estampillé GMEM (Les Musiques) qui poussa le vice jusqu’à programmer une alternance de pièces signées Whitehouse et… Morton Feldman ! On ne retrouve pas ici la moindre trace de l’oncle Morty (qui, par ailleurs, devrait faire l’objet d’un prochain volume de la série Old School) mais uniquement six pièces commises par William Bennett, fondateur et seul membre permanent de Whitehouse depuis sa création. Troublé par l’image brutale et transgressive savamment cultivée par le groupe ou affligé par sa dimension grand-guignolesque qui fait plus que friser l’auto-parodie ? Aucun problème, toute controverse est laissée de côté avec une sélection de pièces exclusivement instrumentales et aux intitulés n’appelant pas la mention « accord parental souhaitable ». La violence ne réside que dans la musique et ceux désireux de se flageller en savourant les abjections braillées par un tortionnaire d’oreilles chastes feraient mieux de passer leur chemin.

« Extreme acoustic music » peut-on lire au dos du CD, une précision pas tout à fait superflue lorsque l’on entend les fréquences suraiguës et les agglomérats de sons abrasifs créés par Zeitkratzer sans aucun dispositif électronique mais à l’aide d’une clarinette (Frank Gratkowski), d’une trompette (Matt Davis), d’un trombone (Hilary Jeffery), d’un piano (Reinhold Friedl), d’une harpe (Rhodri Davies dont c’est la première apparition au sein de l’ensemble), de percussions (Maurice de Martin), d’un violon (Burkhard Schlothauer), d’un violoncelle (Anton Lukoszevieze) et d’une contrebasse (Ulrich Phillipp), sans oublier le rôle crucial de Ralf Meinz dans le traitement du son. « Grâce aux extraordinaires techniques avancées des musiciens de Zeitkratzer et grâce à notre approche unique de l’amplification et des techniques microphoniques, j’ai pu immédiatement entendre les morceaux originaux comme de la musique instrumentale » précise Friedl qui dirige l’ensemble depuis 1999. Il faut dire aussi qu’après avoir transcrit la musique de Merzbow ou de Zbigniew Karkowski, plus rien ne semble impossible !

Les pièces sont tirées des quatre derniers albums de Whitehouse : Cruise (2001), Bird Seed (2003), Asceticists (2006) et Racket (2007), qui tous montrent une relative évolution par rapport au radicalisme dépouillé et aux tonalités invariables d’antan. Nul doute qu’un minimum de richesse texturale a été un critère déterminant dans le choix des matériaux de départ. Ainsi sur « Munkisi Munkondi », les ronflements itératifs des cuivres alternant avec le meuglement d’une clarinette à l’agonie sont du meilleur effet, sur fond de roulette de dentiste et soutenus par un lourd rythme tribal. Une fluctuation expertement orchestrée de dissonances perçantes (« Nzambi Ia Lufia ») ou un désordre hyperbolique dont la puissance a plus de proximité avec les masses sonores de Xenakis qu’avec le power electronics (l’envoutant « Scapegoat ») figurent parmi les pics de cet enregistrement tandis que l’interprétation des titres les plus récents ne parvient pas toujours à la même intensité. Au total, un disque qui, en ouvrant peut être plus de portes qu’il n’en franchit, laisse un peu sur sa faim (et puis 27:15 c’est un peu court quand même) mais qui, clairement, pousse dans une direction que l’on souhaiterait voir davantage explorée. Nul ne doute également que, chez les fondamentalistes S/M de la première heure comme chez les factionnaires des musiques dites savantes, pas mal de dents conservatrices devraient grincer à voir la bête immonde atteindre le seuil de la respectabilité, ce qui est déjà un accomplissement en soi.

~jcg

un CD paru chez Zeitkratzer Records (zkr 0007) ; distribution : Metamkine

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