31/05/2011

Festival des Musiques Innovatrices 2011


Allez, chiche on l’fait ? On reprend du service après une pause de… plusieurs mois (!) et on colle à l’actualité comme ça n’arrive pas souvent ! Une belle occasion de retourner au clavier est le souvenir encore intact de la dernière édition du Festival des Musiques Innovatrices de Saint-Etienne qui, comme à son habitude, rassembla des particules sonores de toutes provenances et, le temps d’un long week-end, les cristallisa en un assemblage composite puisant sa richesse dans les éclats discrets de ses multiples facettes.

Loin des ambitions mondialistes et de l’actualité brûlante de son homonyme siégeant à Washington DC, le FMI qui s’empare du très beau site Couriot (un ancien puits minier reconverti en musée) fait quand même la part belle au multilatéralisme. Le millésime 2011 en apporta la preuve avec une oreille tendue tout particulièrement vers le Japon mais aussi vers les percussions bien d’chez nous, le platinisme expérimental d’Europe centrale ou les performances vocales hors-frontières. Retour rapide (sans le son mais avec l’image) sur quelques moments mémorables…

26 mai : ouverture du festival par Super Jean-François Plomb, héros local dont les machines sonores portatives se révèlent pleines de ressources. Quelques valises, des petits moteurs électriques, des roues qui tournent, des débris métalliques, un assortiment digne d’un vide-grenier : rien ne manque à ce concerto pour ressort et bobines aux résonances de sanza mécanique et de bruitisme de chambre.


Très attendu, le singulier duo formé par Tom Smith (anti-rock star, poète maudit, cerveau malade de TLASILA) et Kevin Drumm (icône de l’électronique radical) tient toutes ses promesses. D’un charisme débordant, Smith la joue dandy voluptueux, divague à l’envi, délivre des mots avec une sincérité absolue, se contorsionne pour une syllabe et meurt sur scène plusieurs fois par chanson. Drumm fournit la texture sonore, discrètement abrasive ou lacérée de fulgurances, et parasite malicieusement les élucubrations de son complice. Oscillant entre cabaret minimaliste et perte d’équilibre contrôlée, la performance s’achève sur une reprise assez improbable (et non parodique) de « Lipstick » de Jedward, le duo qui représentait l’Irlande au dernier concours de l’Eurovision. « It’s a great song really, you know! » confie Smith et, effectivement, comment pourrait-il en être autrement d’une chanson dont les paroles incluent « you're spending money like you're on death row ». Une convaincante mise en application du motto de Smith : « genre is obsolete » !


27 mai : pas de commentaire sur cette soirée où l’équipe de reportage de Scala Tympani n’était pas présente.

28 mai : un samedi bien rempli avec :

Une conférence de Philippe Robert… pas entendue (dommage). Aki Onda qui bricole des climats fragiles et oniriques et semble fouiller dans ses propres souvenirs avec pour seuls moyens un walk-man, cinq cassettes et un mixeur rudimentaire. La performance est suivie par une autre d’Anne-Laure Pigache (voix), pas vue non plus pour des raisons pratiques...


K Mical (action, voix, mélodica) & A Qui avec Gabriel (accordéon, voix). Figure de la jeune génération de l’underground japonais, K Mical (de son vrai nom Michiko Takahachi) s’est illustrée aux côtés du saxophoniste Tamio Shiraishi ou au sein du collectif new-yorkais No Neck Blues Band. Adepte de la théâtralité, elle entame sa performance au milieu du public où elle se déploie selon des trajectoires hasardeuses, transe hallucinée sur fond de drone oppressant avec, en prime, projection de grelots, de tubes de carillon et autres maracas sur les murs. Elle rejoint sur scène A Qui, beaucoup moins extravertie derrière son accordéon qui semble immense (le fameux « Gabriel »), pour une suite d’improvisations douces-amères où s’entremêlent incantations naïves, ombres spectrales et mélodies aux accents parfois médiévaux.


Talweg, un duo assénant un doom metal des plus dépouillés et bordant sur le psychédélisme cathartique. Porté uniquement par les vociférations possédées de Joëlle Vinciarelli -qui évoque simultanément Lydia Lunch, Junko et Stefania Pedretti- et la frappe lourde d’Eric Lombaert qui ne ménage pas ses fûts, le set est intense. Les hauts murs de béton et les carcasses de machines de forage servent de caisse de résonance aux martèlements des blast beats et à la furie des grondements ténébreux. Une belle énergie très bien servie par son environnement.


Strotter Inst. (projet solo de Christoph Hess que l’on retrouve aussi au sein des combos Herpes Ö DeLuxe et Sum of R), un artiste sonore utilisant platines et disques préparés pour distiller des atmosphères lancinantes dont l’esthétique industrielle prend tout son sens au musée de la mine. Pas mal de style chez l’Helvète qui prend soin d’enfiler sa chemise-cravate de scène tout en entamant son show. Trois platines Lenco tournent simultanément, tantôt vides tantôt recouvertes de vinyles fragmentés, agrémentés de parties saillantes sur lesquelles viennent buter des têtes de lectures maintenues à des hauteurs variables par un dispositif modulable de fils élastiques. Assez captivant et très applaudi.


Fin de soirée sur une note légère avec une rencontre entre Tomoko Sauvage (bols en porcelaine, eau et micros hydrophoniques) et Nicolas Lelièvre (percussions). Tintements cristallins et effleurements vibratiles se dissipent dans l’air avec indolence ou ruissellent sereinement pour un résultat peut-être un peu trop confortable pour certaines oreilles...


29 mai : clôture du festival avec :

Benjamin Duboc (contrebasse) et Didier Lasserre (percussions) pour une musique improvisée tout en fluidité et en retenue. Lasserre utilise un set de batterie réduit (une caisse claire et deux cymbales) et un assortiment d’objets qu’il manipule avec précaution. Le geste est aussi mesuré chez Duboc qui caresse autant le bois que les cordes de son instrument. Une musique fusionnelle, délicate et très lisible.


Mat Pogo (performance vocale, lecteur CD) et Ignaz Schick (platines et objets), un excellent duo issu de la foisonnante scène berlinoise qui balance un flot hyperactif où cut-ups, stridences et jeu de matières occupent tout l’espace à chaque instant. Pour évoquer l’attirail de Schick, il faudrait plutôt parler de surfaces rotatives sur lesquelles il frotte des tiges métalliques, écrase des blocs de polystyrène, meule des barquettes en aluminium. Les dérapages se succèdent à vive allure mais le crash est toujours évité. Visiblement très à l’aise dans la confusion, Pogo fait dans l'expressionnisme intégral en évitant soigneusement la caricature, gesticule autant qu’il baragouine et se transforme en polyglotte dadaïste, en prophète de l’Apocalypse ou en personnage déjanté de Tex Avery qui arrache facilement quelques sourires. Un set dynamique et enthousiasmant qui restera sans nul doute l’un des plus marquants du festival !


Un point d’orgue de choix avec la venue de Fred Frith (poids lourd des musiques de traverse depuis quatre décennies) en duo avec Paolo Angeli (guitare sarde préparée : un instrument traditionnel étonnamment customisé). Beaucoup de cordes pour cette énième rencontre entre les deux hommes qui dépasse la confrontation entre le maître et son disciple pour atteindre des sommets de complicité et de virtuosité (presque trop parfois) et pour séduire sans forcer un public conquis dès la première seconde.


Un grand merci aux organisateurs dévoués du festival, Bruno Meillier en tête, pour mettre autant d’énergie dans la diffusion de ces musiques passionnantes : une mission dont le caractère militant semble devoir s’affirmer plus que jamais en ces temps de récession culturelle ! Pour cette raison, et pour d’autres, on scrutera l’horizon mai 2012 avec un intérêt tout particulier…

~jcg

18/01/2011

X_Brane :: Penche Un Peu Vers L’Angle

Y aurait-il une allusion cosmologique cachée derrière X_Brane ? Un X comme autant de dimensions ? Un clin d’œil à la théorie des cordes dans la guitare électrique de Jean-Sébastien Mariage ? Une énergie sous forme de tension qui se dissimulerait au cœur du jeu de Bertrand Gauguet (saxophones alto et soprano) ? Une relation particulière à l’espace chez Mathias Pontevia qui tient absolument à qualifier sa batterie d’horizontale ? A tenter d’expliquer l’univers à travers la musique du trio, on risque bien d’aller nulle part. La géométrie biscornue de ces improvisations ne donne aucun éclairage non plus sur leurs intentions. Tout juste décèle-t-on de vagues mouvements qui, tour à tour, étendent des projections qui se neutralisent, décrivent des cercles concentriques ou creusent le sol tout en restant sur place. Chacun organise sa zone de confort là où il se trouve, fait son nid, tord des brindilles et farfouille dans les feuillages. Gauguet taille quelques silex avec patience, souffle méticuleusement sur des braises, Pontevia polit avec application la surface de sa caisse claire en y frottant une cymbale, crée un soubassement textural et consolide discrètement l’édifice à coups de mailloche. Marquant son territoire en s’appuyant sur l’amplification, Mariage fouine dans les recoins de son instrument et en extrait quelques bredouillements, épanchements fugitifs à l’archet et même, sacrilège, des accords. Avec une certaine nonchalance, les propositions s’éparpillent et suivent des destins divers ; certaines s’éteignent à petit feu tandis que d’autres font l’objet de surenchère. Parfois, au bruit du danger, tout s’arrête mais jamais pour bien longtemps car le vide semble encore plus redouté que le chaos. A nouveau, les lignes s’étirent, se déplient à leur rythme, craquent, murmurent, toussotent (ah non, ça c’est des gens du public !) et participent à une lente dérive giratoire qui ne transportera sans doute pas l’auditeur vers des rives nouvelles mais ne lui fera pas regretter l’embarquement pour autant.

~jcg

un CD paru chez Amor Fati (FATUM 019) ; distribution : Metamkine

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16/01/2011

Quelques Cercles #1 :: Lê Quan Ninh

Un solo de Lê Quan Ninh est toujours une expérience unique, instant précieux chargé de solennité autant qu’art en mouvement. A chaque nouvelle performance, l’exaltation est étrangement intacte même si c’est sensiblement la même batterie d’ustensiles qu’il manie depuis au moins quinze ans : la même membrane qu’il écorche au moyen de tiges métalliques, les mêmes cymbales qu’il anime de son souffle, les mêmes pommes de pin qu’il malaxe sur le corps de sa grosse caisse, les mêmes tirants qu’il érafle d’un galet, les mêmes bols qu’il fait frémir (et l’auditeur avec). Une musique qui résonne avec les éléments, tantôt minérale, tantôt aqueuse, qui multiplie les prodiges sans exhibitionnisme, qui se régénère imperceptiblement et qui prend tout son sens dans l’acte qui lui donne vie.

Le 16 janvier 2011, le percussionniste inaugurait la saison de concerts organisés à Lyon par l’association Quelques Cercles qui n’a manifestement pas vocation à faire des ronds dans l’eau. Preuve en est leur belle programmation présentant, une fois par mois, une « petite formation acoustique » (solo ou duo) de musique improvisée ou écrite. Au passage, on notera que cette série d’événements respecte la parité hommes-femmes infiniment plus que n’importe quel conseil d’administration, ce dont on ne se plaindra pas.

~jcg

PS : pour ceux qui souhaiteraient découvrir le travail de Lê Quan Ninh, un très grand nombre de documents audio et vidéo sont en ligne sur son site. Un solo plutôt bien filmé lors de l’édition 2005 du festival Traces of Rhythm (Tilburg, NL) pourra servir d’introduction.

14/01/2011

Keith Fullerton Whitman :: Disingenuity b/w Disingenuousness-

Goûteur insatiable des meilleurs crus de la musique concrète comme des soupes synthétiques les plus veloutées, fervent apologiste des systèmes modulaires analogiques, Keith Fullerton Whitman connait sur le bout des doigts son histoire de la musique électronique, en particulier son côté obscur. Par le biais de Mimaroglu Music Sales ou Creel Pone et à coup de plaidoiries éloquentes, il fait partager son enthousiasme sur le sujet depuis longtemps et, par-là, contribue à ouvrir quelques oreilles. On en viendrait presque à oublier qu’il s’agit également d’un artiste capable d’incursions aussi bien dans la musique atmosphérique texturée que dans l’electronica abrasive. Il s’engouffre à présent dans une brèche plus expérimentale, faite d’études granuleuses, de tripatouillages hallucinogènes et de collages subliminaux. Un singulier voyage dans le temps commence dès la première seconde où l’on dérape sur des bandes magnétiques pour se retrouver projeté plus de cinquante ans en arrière, au cœur de machines peuplant les studios du GRM ou de la WDR. Avec un émerveillement intact, Whitman tourne frénétiquement les boutons, joue avec les bobines et fonce tête baissée sur les voies pavées par les pionniers de l’époque. Il presse alors la touche fast forward et le trip prend des allures cosmiques à force d’exubérances au synthétiseur qui traversent le new age et la moogsploitation des années 1970 pour finir par s’entrelacer avec d’étranges bribes de voix fantomatiques. Au milieu de cet amoncellement, des sonorités numériques sonnent comme des anachronismes et ne font qu’ajouter à la confusion. Elles finissent par prendre progressivement les devants pour tisser des liens avec la techno minimale made in Berlin dans un long passage tout en élasticité avant de revenir au psychédélisme mijotant dans sa marmite. D’un passéisme plutôt kaléidoscopique, cet assemblage montre le savoir-faire de Whitman qui, s’il pille allègrement tout un pan de l’héritage musical, en restitue un habile condensé.

~jcg

un LP paru chez Pan (Pan 13) ; distribution : Metamkine

autre(s) texte(s) sur Scala Tympani au sujet de Pan

PS : un aperçu du travail de KFW peut être vu ici

13/01/2011

Zeitkratzer :: Old School - Alvin Lucier

Un magnétophone, une corde de piano, un oscillateur, un instrument de musique isolé : le matériau de base choisi par Alvin Lucier est souvent d’une étonnante simplicité, surtout en regard des hauteurs parfois vertigineuses qu’atteint sa musique susceptible de capter les vibrations du cosmos comme les échos de rythmes biologiques. On est alors plutôt surpris de voir un ensemble de dix virtuoses rompus aux défis techniques les plus audacieux s’attaquer à l’œuvre dépouillée du compositeur américain. Pour cet exercice, Zeitkratzer a donc dû mettre la majorité de son personnel sur le côté, laissant la place à une poignée de solistes pour réaliser l’essentiel de ces pièces conçues entre 1987 et 2001. Ouvrant sur un mode formel et minutieux, « Fideliotrio » est parcouru par une unique note de piano (celui de Reinhold Friedl) qui revient à intervalles irréguliers et dont la résonance est comme prolongée par les lents glissandi d’un alto (Burkhard Schlothauer) et d’un violoncelle (Anton Lukoszevieze) qui s’entrecroisent et se confondent plus d’une fois. Dans « Music For Piano With Magnetic Strings », les cordes de l’instrument sont excitées par des aimants électromagnétiques savamment positionnés et dont le déplacement produit un drone évolutif. Une pièce peut être encore plus indéterminée est l’étonnant « Silver Streetcar For The Orchestra » pour triangle solo (!) qui pourrait bien faire tomber quelques préjugés sur les limites de l’instrument. Tempo, dynamique, étouffement, angle d’attaque sont les paramètres modulés librement par Maurice de Martin qui livre une performance faussement répétitive dont la durée excède très largement la capacité d’attention des fans des Foo Fighters pourtant prompts à l’exultation à la vue d’un triangle. Si « Violynn » fut créée pour Lynn Bechtold, c’est à Schlothauer que revient la primeur de l’enregistrement, lequel immortalise les plaintes d'un violon tournant autour d’une onde sinus et produisant toutes sortes d’interférences. Concluant le recueil, « Opera With Objects » laisse une très grande marge de manœuvre aux interprètes qui sont instruits de tapoter régulièrement sur des petits objets résonants à l’aide de deux crayons, modifiant très progressivement le rythme sans relation avec celui créé par les autres exécutants. Insignifiantes individuellement, ces micro-percussions construisent collectivement un espace très vivant qui invite à se concentrer périodiquement sur différentes sources, à glisser d’un plan à l’autre sans y penser, laissant entrevoir un infini des possibles engendré par une performance délicate et absorbée.

~jcg

un CD paru chez Zeitkratzer Records (zkr 0011) ; distribution : Metamkine

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12/01/2011

Francisco Meirino :: Anthems for Unsuccessful Winners

Comme s’extrayant d’une carapace larvaire pour révéler une apparence plus aboutie, Francisco Meirino quitte le Phroq qui lui collait à la peau depuis 15 ans et se présente désormais sous sa véritable identité. L’artiste serait-il arrivé à maturité ? En réalité, la mue imaginale était déjà amorcée depuis quelques temps et le changement ne paraîtra pas radical à qui se souvient suffisamment clairement de l’excellent Connections, Opportunities for Mistakes (2008). Le thème du dysfonctionnement est à nouveau central dans cet opus bourré d’électronique fumant qui, dans un assemblage de « victoires sans succès », explore les limites de systèmes pas toujours identifiés. Une intrusion nocturne au cœur de la salle des machines permet d’en éclairer brièvement quelques portions ; il y a des câbles un peu partout que Meirino dénude avec les dents, tentant quelques branchements de fortune pour ranimer des appareils moribonds mais recueillant plus souvent leur dernier souffle. L’agonie n’est pas de tout repos : des fréquences tranchantes comme un faisceau laser découpent l’espace dans toutes les dimensions, des mouvements mécaniques manquent de défaillir à chaque itération, des montées en puissance sont stoppées net par des chutes brutales de tension et des éruptions volcaniques enregistrées sur dictaphone troublent une friture imperceptible de particules. On ne reste jamais tranquille très longtemps et à peine commence-t-on à s’installer dans un environnement que l’on s’en trouve délogé par une décharge ; une instabilité qui renvoie à l’image d’un électrocardiogramme pas très vaillant, auquel on reste suspendu en attendant l’issue fatale. Bien sûr, l’interprétation de tout cela reste essentiellement subjective et, avec son titre le plus pertinent, Meirino annonçait déjà ce qu’allait être cette chronique : une « unsuccessful attempt at trying to explain the meaning of these sounds » !

~jcg

un CD-R paru chez Echomusic (EC16) ; distribution : Metamkine

11/01/2011

Jason Kahn, Günter Müller & Christian Wolfarth :: Limmat

C’est la douzième fois que les noms de Jason Kahn (synthétiseur analogique) et Günter Müller (iPods, électronique) se retrouvent associés sur un disque. Avec un tel passif, autant dire que l’on est en terrain connu et que l’on s’attend, une fois encore, à flotter dans les limbes brumeux d’un éther frémissant. Le très beau jeu de Christian Wolfarth vient pourtant modifier l’équation en apportant des percussions acoustiques bien choisies dont le grain se mêle délicatement aux textures de ses partenaires et dont les rythmes souterrains ajoutent, par endroits, de la couleur aux nuances de gris. Après Drumming en 2005, le trio reprend du service et nous livre une suite de trois pièces électroacoustiques qui puise son nom dans une rivière suisse. Les analogies ne manquent pas entre le cours d’eau et le flux ininterrompu d’alluvions transportés par la musique : une sensation paradoxale d’écoulement et d’immobilité, une surface apparemment lisse sous laquelle on distingue des tourbillons au fur et à mesure que l’on s’en approche, des reflets changeants qui rendent la contemplation fascinante. La clarté de l’enregistrement bénéficie aux nombreux détails qui sont drainés par le courant et ne demeurent jamais figés. Les textures sont également beaucoup moins douceâtres que celles auxquelles nous ont habitué certains travaux de Kahn et Müller. Plus variées, plus imprévisibles aussi grâce aux peaux frottées, aux résonances assourdies du cuivre et de l’étain qui viennent contrebalancer les picotements électroniques, s’appuyer sur les mouvements d’air chaud, donnant du volume et de la substance à l’ensemble sans jamais le surcharger.

~jcg

un CD paru chez Mikroton (mikroton cd 7) ; distribution : Metamkine

autre(s) texte(s) sur Scala Tympani au sujet de Jason Kahn, Günter Müller et Mikroton

10/01/2011

Compilation :: Klingt.org - 10 Jahre Bessere Farben

Une décennie de bons et loyaux services, c’est ce que peut légitimement célébrer, en 2010, Klingt, une remarquable plateforme internet fédérant une communauté musicale aux contours perméables. Dépassant largement son épicentre viennois, les secousses de cette activité rayonnent ici en 44 trajectoires et autant d’expérimentations tous azimuts.

Klingt.org, c’est ce qu’il faut taper dans la barre de votre explorateur internet pour entrer dans l’environnement conçu par Dieter Kovačič (alias dieb13) et découvrir des dizaines d’artistes et de projets qui ont leur site hébergé sous cette bannière cosmopolite. Pour un premier aperçu, on ne saurait trop vous conseiller d’aller jeter une oreille du côté du jokebux (sic) qui propose une invraisemblable quantité de morceaux à écouter sur place ou à télécharger. Pour ceux que ça intéresse, deux logiciels open source de traitement du son sont également disponibles : ppooll (anciennement lloopp) et kluppe. A propos de cette communauté protéiforme, Burkhard Stangl parle d’une « atmosphère de café viennois virtuel, un endroit où il fait bon traîner, où l’on peut trouver la paix et la tranquillité si l’on veut, où l’on peut parler à son voisin ou discuter avec l’hôte du lieu qui offre conseils pratiques et support technique pour toutes difficultés numériques ».

Deux CD bien remplis regroupent l’essentiel des artistes liés de près ou de loin au collectif. Apparaissant l’une et l’autre à plusieurs reprises, Billy Roisz (dispositifs vidéo audibles) et Angélica Castelló (enregistreur, électronique) unissent leurs forces dans le duo cilantro pour une pièce dominée par le feedback agressif des machines. Christof Kurzmann a également ses entrées et survole l’Amérique latine en 180 secondes et trois rencontres avec Fernando Perales (Argentine), Toto Alvarez (Chili) ou Gustavo H. Serpa (Brésil) le long d'une suite pleine d’échardes, qui va d’effleurements en collisions. Kurzmann donne également de la voix au sein du quartet pop The Magic I.D. pour un étrange télescopage avec le timbre de Margareth Kammerer et une relecture de quelques classiques. A grand renfort de platines et d’électronique, dieb13 évolue dans un registre plutôt abrasif qu’il soit en solo, en compagnie de Martin Siewert ou remplissant le quota non suédois du combo Swedish Azz. Un attirail similaire est employé par eRikm pour sa « Botelo de Klein » qui se veut une surface fermée, sans bords et non orientable et qui séduit par sa dynamique d’aplats de textures aux variations abruptes. Autre temps fort, la pièce de Kazuhisa Uchihashi demeure une énigme en passant d’une frénésie platinistique à une réverbération quasi-statique alors que son auteur n’est crédité que d’une guitare.

Au jeu des mystifications, on retiendra aussi Los Glissandinos (Kai Fagaschinski à la clarinette et Klaus Filip aux ondes sinus) qui, avec « Pop », restent à bonne garde de cet intitulé et déploient des fréquences implacables dans lesquelles s’infiltrent de délicates coulées instrumentales. La clarinette est approchée très différemment par Ernst Reitermaier qui, par un système de boucles, construit un drone suave et vacillant. Une démarche pas très éloignée de celle de Boris Hauf qui, à partir de saxophones, produit une polyphonie haut-perchée qu’il n’hésite pas à parasiter par un surprenant interlude. Aux antipodes du continuum chaleureux, on se tournera volontiers vers le dévastateur « Assembling the Forgotten Gate to Hell at Ibiza Beach (Postmortem Happy End Remix) » du duo K&K (Manuel Knapp et Peter Kutin) qui lorgne vers le laptop bien corrosif façon Mego des premières heures, avec torture de microprocesseurs et grands mouvements symphoniques en toile de fond. On signalera enfin la présence notable du « nimb#46 » de Toshimaru Nakamura qui allonge ici sa série de constructions très pointues à la no-input mixing board.

Avec plus de 2h30 de détournements divers, d’électronique paysagiste, d’improvisations transfrontalières, de jazz émancipé, de chansons fracturées, de lounge music insidieuse, d’isolationisme glacial ou d’impromptus soignant leur degré de décalage, il va sans dire que cette compilation ratisse large. Elle redonne aussi un coup de vernis sur les couleurs bariolées de ce refuge pour musiques sans œillères que représente Klingt, soulignant ses contrastes et mettant en relief ses constituants disparates qui coexistent en bonne intelligence et revendiquent une pluralité salutaire.

~jcg

un double CD paru chez Mikroton (mikroton cd 5/6) ; distribution : Metamkine

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07/01/2011

Trevor Wishart :: Fanfare & Contrapunctus / Imago

Actif depuis le début des années 1970, Trevor Wishart n’a eu de cesse d’œuvrer à la métamorphose des sons. Pour mener à bien sa mission, le compositeur britannique a suivi de près l’évolution technologique, de la manipulation de rubans magnétiques à la conception de logiciels. Ces deux approches sont ici représentées à travers des travaux électroacoustiques qu’un quart de siècle sépare. La face A est occupée par deux courtes pièces réalisées en 1976 au Conservatorium de Sydney et inédites jusqu’à présent. Basées sur des improvisations de Wishart et de Martin Mayes à la trompette, au cor, à la voix et autres pistolets à bouchon, « Fanfare » et « Contrapunctus » sont d’une spontanéité totalement jubilatoire. Le lyrisme âpre des cuivres est tordu en échos caverneux, le tripatouillage de bandes est plus que remuant, laissant filtrer des élucubrations morcelées, des incantations sauvages qui prennent la forme d’un rituel magique avec gargouillis de substances en ébullition et émanations soufrées, quelque part entre Sun Ra et Nurse With Wound, autrement dit mystiquement déjanté ! En retournant le disque, on entre dans l’ère du numérique et on perd aussi pas mal de fraîcheur au passage. Conçue à l’aide d’un programme informatique développé par Wishart et précédemment publiée en CD par l’Electronic Music Foundation, « Imago » (2002) est une pièce hyperactive qui n’a pas la qualité rugueuse et vulnérable des expérimentations plus anciennes. La densité est au rendez-vous avec une pluie torrentielle de sonorités percussives qui se déplace en tous sens, une surenchère de pianos mécaniques, de gongs synthétiques, de marimbas factices qui tressautent à la manière d’un crotale pris de convulsions après s’être infligé une morsure. Ca mitraille en permanence, des orages magnétiques éclatent presque à chaque seconde et une telle outrance contribue à désensibiliser l’auditeur aisément distrait par autant de virevoltes.

~jcg

un LP paru chez Pan (PAN 12) ; distribution : Metamkine

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06/01/2011

Zeitkratzer :: Whitehouse Electronics

Pas du genre à céder devant la difficulté et toujours à l’affut d’un coup d’éclat, l’ensemble berlinois Zeitkratzer poursuit son entreprise de décloisonnement des genres en ouvrant un peu plus son répertoire au chaos bruitiste. Après s’être attaqué à l’intouchable Metal Machine Music, il accroche à présent la musique de Whitehouse à son tableau de chasse.

Au début des années 1980, qui aurait parié que les joyeux drilles responsables de titres comme « Ultrasadism », « Rapeday », « Shitfun » ou « Buchenwald » verraient, trente ans plus tard, leur œuvre interprétée dans le cadre d’un festival de musique contemporaine ? Ce fut pourtant le cas lors de l’édition 2009 de celui estampillé GMEM (Les Musiques) qui poussa le vice jusqu’à programmer une alternance de pièces signées Whitehouse et… Morton Feldman ! On ne retrouve pas ici la moindre trace de l’oncle Morty (qui, par ailleurs, devrait faire l’objet d’un prochain volume de la série Old School) mais uniquement six pièces commises par William Bennett, fondateur et seul membre permanent de Whitehouse depuis sa création. Troublé par l’image brutale et transgressive savamment cultivée par le groupe ou affligé par sa dimension grand-guignolesque qui fait plus que friser l’auto-parodie ? Aucun problème, toute controverse est laissée de côté avec une sélection de pièces exclusivement instrumentales et aux intitulés n’appelant pas la mention « accord parental souhaitable ». La violence ne réside que dans la musique et ceux désireux de se flageller en savourant les abjections braillées par un tortionnaire d’oreilles chastes feraient mieux de passer leur chemin.

« Extreme acoustic music » peut-on lire au dos du CD, une précision pas tout à fait superflue lorsque l’on entend les fréquences suraiguës et les agglomérats de sons abrasifs créés par Zeitkratzer sans aucun dispositif électronique mais à l’aide d’une clarinette (Frank Gratkowski), d’une trompette (Matt Davis), d’un trombone (Hilary Jeffery), d’un piano (Reinhold Friedl), d’une harpe (Rhodri Davies dont c’est la première apparition au sein de l’ensemble), de percussions (Maurice de Martin), d’un violon (Burkhard Schlothauer), d’un violoncelle (Anton Lukoszevieze) et d’une contrebasse (Ulrich Phillipp), sans oublier le rôle crucial de Ralf Meinz dans le traitement du son. « Grâce aux extraordinaires techniques avancées des musiciens de Zeitkratzer et grâce à notre approche unique de l’amplification et des techniques microphoniques, j’ai pu immédiatement entendre les morceaux originaux comme de la musique instrumentale » précise Friedl qui dirige l’ensemble depuis 1999. Il faut dire aussi qu’après avoir transcrit la musique de Merzbow ou de Zbigniew Karkowski, plus rien ne semble impossible !

Les pièces sont tirées des quatre derniers albums de Whitehouse : Cruise (2001), Bird Seed (2003), Asceticists (2006) et Racket (2007), qui tous montrent une relative évolution par rapport au radicalisme dépouillé et aux tonalités invariables d’antan. Nul doute qu’un minimum de richesse texturale a été un critère déterminant dans le choix des matériaux de départ. Ainsi sur « Munkisi Munkondi », les ronflements itératifs des cuivres alternant avec le meuglement d’une clarinette à l’agonie sont du meilleur effet, sur fond de roulette de dentiste et soutenus par un lourd rythme tribal. Une fluctuation expertement orchestrée de dissonances perçantes (« Nzambi Ia Lufia ») ou un désordre hyperbolique dont la puissance a plus de proximité avec les masses sonores de Xenakis qu’avec le power electronics (l’envoutant « Scapegoat ») figurent parmi les pics de cet enregistrement tandis que l’interprétation des titres les plus récents ne parvient pas toujours à la même intensité. Au total, un disque qui, en ouvrant peut être plus de portes qu’il n’en franchit, laisse un peu sur sa faim (et puis 27:15 c’est un peu court quand même) mais qui, clairement, pousse dans une direction que l’on souhaiterait voir davantage explorée. Nul ne doute également que, chez les fondamentalistes S/M de la première heure comme chez les factionnaires des musiques dites savantes, pas mal de dents conservatrices devraient grincer à voir la bête immonde atteindre le seuil de la respectabilité, ce qui est déjà un accomplissement en soi.

~jcg

un CD paru chez Zeitkratzer Records (zkr 0007) ; distribution : Metamkine

autre(s) texte(s) sur Scala Tympani au sujet de Zeitkratzer

04/01/2011

Compilation :: Magnetic Traces - A Survey of French and Australian Sound Art

Interrogeant les rapports complexes entre environnement et spectre sonore, Magnetic Traces documente l’exposition du même nom qui s’est tenue à Melbourne pendant l’été 2009 et offre à l’écoute un panorama franco-australien aux dimensions multiples.

Investigateurs minutieux des espaces sonores naturels ou construits, Eric La Casa (Paris) et Philip Samartzis (Melbourne) devaient logiquement se rencontrer. Fruit de leur partenariat, le prometteur label Swarming sort un disque regroupant treize artistes aux modes opératoires chevauchants, privilégiant la manipulation de field recordings et la spatialisation du son. Au premier abord, ce disque n’incite pas forcément à s’y plonger pour plusieurs raisons : le principe de la compilation qui produit des résultats hétérogènes, la transposition de l’installation sonore à l’écoute domestique qui s’accompagne souvent d’une perte de sens et, enfin, l’aspect « art sonore » qui, lorsqu’il est ostensiblement revendiqué, n’inspire pas toujours confiance (l’a priori demeure à la lecture des notes de pochette dont la pédagogie semble destinée aux attachés culturels d’on ne sait quelle institution, citations obligatoires de Deleuze et Attali incluses). C’est donc le sourcil froncé que l’on glisse le CD dans le lecteur… pour rapidement voir ses réticences se dissiper !

La diversité des propositions s’accompagne d’une belle cohérence dans leur sélection et leur agencement, faisant miroiter des facettes qui se révèlent complémentaires. L’attention extrême portée au traitement des matières, l’amplitude dans les fréquences, la prolifération maîtrisée des informations et les jeux de contraste forment un dénominateur commun à la majorité des pièces ici rassemblées. Parmi les moments forts, on citera « Insect Woman » de Samartzis où des stridulations de sauterelles sont progressivement gagnées par des flux d’air pulsé, des grincements métalliques et des bribes méconnaissables de la voix de Haco. Ces mêmes mouvements d’air, on croit les entendre à nouveau au début de la pièce de La Casa (« Zone sensible ») qui déploie un subtil crescendo au cours duquel le vrombissement d’une nuée d’abeilles finit par former une masse grouillante et débordante d’aspérités.

Jean-Luc Guionnet fournit deux excellentes contributions. La première, en duo avec Marc Baron, présente un montage tendu où se mêlent bruit de fond remontant à la surface par à-coups, slaps sporadiques de saxophone et tonalités riches en particules. Dans la seconde, Guionnet dresse le portrait d’un lac (celui d’Annecy d’après une voix saisie à la volée), un peu comme Lionel Marchetti l’avait fait jadis pour un glacier, c’est-à-dire en contournant soigneusement l’écueil de l’illustration pour livrer un cheminement très personnel, empruntant des tunnels, arpentant la neige fraîche, dérivant sur des embarcations et en disant plus sur son auteur que sur la topographie lacustre.

D’autres paysages sonores développent une trame narrative. C’est le cas du travail de Tarab (Eamon Sprod) qui juxtapose avec un naturel confondant tourbillons de feuilles balayées par le vent, grondements dramatiques, gouttière ruisselant sur une carcasse rouillée et déplacement d’objets lourds dans un entrepôt résonnant. Avec une sensibilité proche, Thomas Tilly propose une construction nuancée en ouvrant les fenêtres de son habitat, parcourant l’interface dedans/dehors à partir de sons quotidiens.

Des pièces pourraient d’avantage être qualifiées d’atmosphériques, notamment celles, très belles, de Lizzie Pogson et de Cédric Peyronnet qui font preuve d’une étonnante proximité avec des tonalités diffuses qui se propagent subtilement en nappes enveloppantes et dans lesquelles se nichent, avec beaucoup de raffinement, des timbres instrumentaux (notes de clavecin, échos de bols tibétains) et d’autres détails minuscules. Le duo formé par Anthea Caddy et Thembi Soddell exhibe, quant à lui, une « Intimate Geometry » tout en brume dont la densité texturale fluctue de manière parfois abrupte et où un violoncelle rugueux vient se fondre dans les manipulations électroniques.

A cela s’ajoutent quelques propositions plus fidèles à la prise de son brute ou, au contraire, davantage versées dans la mise en scène conceptuelle. Collectivement, ces réalisations couvrent un vaste champ et permettent à l’auditeur de le survoler, même en absence de système sonore multicanal (certaines pièces ont été initialement conçues pour une configuration en 7.1). Elles sondent également une petite partie du vivier de la musique acousmatique et démontrent qu’il est actuellement des plus fourmillants, « swarming » dirait-on en anglais !

~jcg

un CD paru chez Swarming (002) ; distribution : Metamkine

autre(s) texte(s) sur Scala Tympani au sujet de Jean-Luc Guionnet, Eric La Casa, Philip Samartzis, Thomas Tilly et Swarming

PS : Eric La Casa et Philip Samartzis sont, avec Philippe F. Roux, les commissaires de la deuxième édition du festival Parisonic dédié à l’art sonore. L’événement, réunissant 25 artistes français et australiens, se tiendra à Paris en juin 2011.

03/01/2011

Thomas Tilly-Tô :: Cables & Signs (Ten Underwater Field Recordings)

Erigé au treizième siècle sur les terres marécageuses du Poitou, le château de Sanzay n’en finit plus de livrer ses secrets. Entre 1998 et 2003, des fouilles archéologiques avaient permis de découvrir plusieurs tours d’enceinte enfouies dans les douves. Ces mêmes douves, Thomas Tilly (alias Tô, comme la pâte de mil ou l’interjection chère à Homer Simpson) les a patiemment auscultées à l’été 2009, s’adonnant à des recherches d’ordre sonore. Fixant les traces de l’écosystème local à l’aide de micros hydrophoniques, l’enregistrement passe de l’autre côté du miroir et révèle une activité surprenante. Grouillements en tous genres, frictions imperturbables, stridulations râpeuses, micro-battements métronomiques et autres très fines modulations de fréquences sont les manifestations d’une faune subaquatique qui ignore sans doute qu’elle est placée sous écoute. Parades nuptiales ou décryptage de câbles diplomatiques, les mystères de la communication entre insectes demeurent impénétrables et intriguent l’auditeur qui a rarement l’occasion d’être le témoin de ces échanges. La prise de son est remarquable de détails et on se prend parfois à imaginer que c’est le mouvement brownien des molécules d’eau que l’on entend distinctement, à moins qu’il ne s’agisse de la photosynthèse des algues de surface à la faveur d’un rayon de soleil matinal. Episodiquement, des bruits du monde terrestre franchissent la surface de l’eau ; un lointain vol d’avion, des roucoulements viennent recadrer le paysage sonore et nous rappellent qu’il s’agit là uniquement de field recordings sans retouches. Aride et contemplatif, ce disque capture sans intervenir et, en amplifiant l’imperceptible, fonctionne comme un projecteur braqué sur un monde invisible.

~jcg

un CD paru chez Fissür (ür 06) ; distribution : Metamkine

autre(s) texte(s) sur Scala Tympani au sujet de Thomas Tilly

31/12/2010

Pour en finir avec 2010

Dernier jour de l’année et inéluctable temps des rétrospectives... Celle qui suit revient sur une poignée d’excellents disques sortis en 2010, avec tout l’aveuglement et la subjectivité qui siéent à ce genre d’exercice.

Jonas Kocher :: Materials [Creative Sources]
S’il faut vraiment designer un disque de l’année, alors que ce soit celui-ci ! Un extraordinaire solo qui explore les tréfonds de l’accordéon et occupe une place singulière à l’intersection de l’improvisation et de la musique concrète. Une révélation, tout simplement, qui mérite de ne pas se noyer dans le flot tumultueux de disques parus cette année (comme les précédentes) chez Creative Sources. Une chronique peut être lue dans le numéro 85 de Revue et Corrigée.

Thomas Ankersmit :: Live in Utrecht [Ash International]
On peut dire qu’il était temps ! Premier vrai disque solo en 10 ans d’activité, il semblerait que Thomas Ankersmit ait enfin décidé de signifier son existence au reste du monde. On s’en réjouit tout en savourant cette magnifique entrée en matière (lire la chronique).

Pascal Battus & Christine Sehnaoui Abdelnour :: Ichnites [Potlatch]
Très original duo entre sax alto et surfaces rotatives, plein d’ardeur et de tranchant (lire la chronique). On déplore juste que ce soit l’unique parution de l’année chez Potlatch… qui nous fait mentir au moment précis où l’on écrit ces lignes en sortant un solo de Bertrand Denzler…dont on reparle dès que possible !

Raionbashi / Krube. :: Ansätze Zum Taumel [Hrönir]
Dans le genre acéré, ces deux-là ne sont pas mal non plus. Ca éclabousse tout en restant subtil et on en redemande (lire la chronique). Ce disque conclue aussi une belle année pour le label Hrönir qui revient en force après un assoupissement de plus d’une décennie.

Martin Küchen, Keith Rowe & Seymour Wright :: s/t [Another Timbre]
Impeccable trio réunissant le grand maître de la guitare préparée et deux fines lames du saxophone employant des stratégies similaires pour démanteler leur instrument. Assurément le meilleur des quatre disques consacrés à la guitare chez Another Timbre (lire la chronique).

Francisco Meirino & Dave Phillips :: We Are None of Us [Misanthropic Agenda]
Décidément, après Jonas Kocher sur la première marche du podium, la Suisse est à l’honneur dans cette liste ! Francisco Meirino (the artist formerly known as Phroq) et Dave Phillips ont la bonne idée de se placer dans la même cabine de télétransportation et d’appuyer sur le bouton. Résultat : fusion totale entre fulgurances électriques et rideaux d’obscurité pour un des disques les plus marquants de l’irréprochable label de Gerritt Willmer. Chronique à lire un jour, ici ou ailleurs…

Angharad Davies & Axel Dörner :: A.D. [Another Timbre]
Quoi de plus naturel que de retrouver ici un autre disque sorti chez Another Timbre… que l’on serait tenté d’élire label de l’année avec ses 18 (!) parutions en 2010 dont beaucoup sont à ranger parmi celles qui comptent. Maîtrise absolue de ce duo violon/trompette où règnent la précision et l’élégance (lire la chronique).

Kevin Parks & Joe Foster :: Acts Have Consequences [autoproduit]
Si vous ignoriez qu’à Séoul l’avant-garde musicale ne se résume pas à Hong Chulki, Choi Joonyong, Ryu Hankil ou Jin Sangtae ; si vous pensiez que se dispenser d’un label pour sortir un disque équivalait à graver des CD-R miteux ; si vous êtes en mal d’espace, de détail et de constructions sibyllines, alors ceci est pour vous (lire la chronique).

Gen Ken Montgomery :: Birds + Machines [Pogus]
Oui, c’est techniquement une réédition mais comme plus de 99.9999% de la population susceptible d’être intéressée par les frasques de Gen Ken n’a jamais entendu les originaux, on fera comme si de rien n’était. Un artiste clé de l’underground new-yorkais largement sous-estimé et dont les archives sont dépoussiérées sur le meilleur Pogus de l’année (lire la chronique).

Tomaž Grom & Seijiro Murayama :: Nepretrganost [L’Innomable]
Pas facile pour un combo contrebasse/percussions de captiver. C’est néanmoins chose faite ici avec spontanéité grâce à ce duo inédit qui paraît regorger de potentiel (lire la chronique et voir une autre preuve ici).

Il va sans dire que, dans l’immensité du cosmos musical, de nombreux ovnis ont échappé à la vigilance du staff (haha) de Scala Tympani. De manière éhontée, on se contentera donc de mettre une liste complémentaire de disques non écoutés mais que des rumeurs fiables incitent à ne pas passer sous silence…

John Butcher & Rhodri Davies :: Carliol [Ftarri]
Joe Colley :: Disasters of Self [Crippled Intellect]
Kevin Drumm & John Wiese :: s/t [Nihilist]
Tomas Korber & Ralf Wehowsky :: Walküren am Dornenbaum [Entr’acte]
Annette Krebs & Taku Unami :: Motubachii [Erstwhile]
Jason Lescalleet & Graham Lambkin :: Air Supply [Erstwhile]
Sissy Spacek :: Sepsis [Second Hand Layer]
Sudden Infant :: My Life's A Gunshot [Hrönir]
Syndromes :: Temporary Perspectives [Organized Music from Thessaloniki]
John Tilbury & Sebastian Lexer :: Lost Daylight (Piano Works by Terry Jennings and John Cage) [Another Timbre]

Voir aussi le best of 2009.

~jcg

29/12/2010

David First :: Privacy Issues (Droneworks 1996-2009)

A en croire Kyle Gann, la musique de David First peut s’envisager « comme du Alvin Lucier très bruyant ou encore comme du Glenn Branca sans le lourd martèlement ». Ce raccourci flatteur ne saurait concerner l’intégralité de l’œuvre du compositeur mais donne, dans une certaine mesure, un aperçu des pièces ici réunies. Amateurs de drones luxuriants, prenez note.

A trop ressembler à Elliott Sharp (même volubilité dans l’astiquage du manche de son instrument, même home-sweet-home new-yorkais, même coupe de cheveux), David First finit par tomber dans des travers similaires, multipliant les projets dont la digestibilité n’est pas toujours garantie. Pourtant, entre l’héroïsme guitaristique décomplexé, les effluves new age et la pop synthétique apprêtée, First a parfois recours à des approches moins boursouflées. On rangera dans cette catégorie les Notekillers, son trio free rock de jeunesse réactivé ces dernières années sous le patronage de Thurston Moore et, bien sûr (surtout), certains de ces travaux autour du son continu et de ses infinies variations. Ici on ne vous ment pas sur la marchandise, c’est bien d’épanchements bourdonnants dont il s’agit, moins abrasifs que ceux de Tony Conrad, moins lumineux que ceux d’Eliane Radigue, moins massifs que ceux de Phill Niblock (qui, au passage, fait paraître ce triple CD sur son propre label), mais quand même suffisamment robustes pour inciter au plongeon.

First résume ainsi sa position vis-à-vis du drone : « gamme tempérée ou juste intonation, je n’ai jamais été un grand fan de l’une ou l’autre de ces approches exclusives. Ce que j’aime c’est la danse fluide et suggestive entre les deux, la dualité entre rythme et tonalité qui s’approche lentement de l’accord parfait, y resplendit pendant un temps puis se replace en orbite. ». Cette profession de foi est mise en application dans la musique qui nous est donnée à entendre, notamment dans « Zen Guilt/Zen Blame » qui ouvre la marche en grande pompe. Initialement conçue pour une installation, cette pièce utilise 21 samples chargés sur un synthétiseur Kurzweil K2000R et séquencés sur un ordinateur Atari 1040ST (la technologie dont disposait First à l’époque) ; les samples se succèdent et se superposent selon un cycle très précis qui génère une masse sonore en constante évolution pendant 30 jours après quoi la périodicité impose un retour au point de départ. Seules 35 minutes sont ici fixées, dans lesquelles le son du theremin vient se fondre et magnifier la nature captivante de la pièce. Les deux suivantes proposent une série de drones plus riches, plus épais, sonnant parfois comme les grandes orgues d’une cathédrale dont l’organiste se serait écroulé mort sur la console et faisant intervenir un ou plusieurs instrumentistes dont le jeu interfère avec les vrombissements ambiants : First (guitare avec aimant électromagnétique), David Nuñez (violon), Benjamin Dieltjens (clarinette, clarinette basse), Tom Pauwels (guitare) et Kim Van den Brempt (piano).

Les pièces les plus concentrées et les plus denses sont indubitablement celles occupant le premier CD, après quoi le propos a tendance à s’éloigner de la sobriété. Des interludes texturaux (avec comme source sonore sifflet à coulisse ou transistor) n’ont pas le temps de se développer de manière probante, des lancinances carillonnantes ont comme un arrière-goût de rance et l’incorporation d’un trop grand nombre d’éléments arrive à détourner totalement l’attention de la trame sous-jacente. Illustration de ces excès, « Aw !/Drawline Spout /Holi Spank » part d’un magma tiède et ondulant qui se fait graduellement gagner par une pulsation immuable (ceci n’étant pas sans rappeler les travaux atmosphériques de Günter Müller) puis finissent par se greffer contrôleurs MIDI et exubérances à la guitare pour parvenir à des culminances psychédéliques assez inappropriées. Seule pièce tirant vraiment son épingle du jeu au sein du CD2, « Belt » a des allures irrésistibles de mantra hypnotique avec sa structure en spirale et la sensation de vol à basse altitude qui s’en dégage.

Le troisième CD contient « Pipeline Witness Apologies to Dennis », une longue pièce (41’05) composée entre 2006 et 2009 et dédiée à Dennis Sandole dont First fut l’un des étudiants (l’histoire de la musique retient plus volontiers le nom de Coltrane dans cette catégorie). Est-ce l’hommage posthume qui confère à cette composition sa solennité ? Est-ce le registre grave des trombones de Chris McIntyre et de Peter Zummo qui vient l’appesantir ? On ne saurait dire mais, à nouveau, le temps s’étire avec naturel et équilibre, des phases progressives d’accélération et de décélération cherchent une stabilité qui se dérobe sans cesse. Malheureusement, dans la dernière section, un lent glissement infiltré par les claviers de "Blue" Gene Tyranny et par l’inévitable guitare de First s’immobilise et se dissipe dans des nuées célestes des plus kitsch. Au total, en près de trois heures de musique, seule une moitié parvient vraiment à convaincre, ce qui reste suffisant pour justifier l’acquisition de cet imposant volume.

~jcg

un triple CD paru chez XI (XI 134) ; distribution : Metamkine

24/12/2010

Kevin Drumm :: The Obstacles of Romantic Exaggeration

La guitare à vif et les composants électroniques en surchauffe, Kevin Drumm a discrètement allumé quelques brasiers dans la jungle des musiques expérimentales depuis la fin du précédent millénaire. Après des années de parutions sporadiques, 2010 sonne l’heure du grand déballage (et de la consécration ?) avec coffret rétrospectif et luxueuses rééditions en vinyle. D’aspect pas franchement reluisant, le double CD-R qui nous intéresse ici racle sérieusement les fonds des tiroirs mais déniche quand même 18 titres inédits qui auraient pu, en d’autres circonstances, se retrouver sur le haut du panier.

Une œuvre aussi diverse et énigmatique que celle de Kevin Drumm multiplie les points d’accès mais ne donne pas pour autant les clés pour y entrer. Aussi, le cratère laissé par l’impact du monumental Sheer Hellish Miasma (qui d’ailleurs refait surface une nouvelle fois grâce aux éditions Mego) semble souvent obscurcir les autres facettes de la créativité de son auteur en l’enfermant dans un sanctuaire harsh noise. C’est à Pica Disk que l’on doit le premier retour important sur la carrière syncrétique du bonhomme avec Necro Acoustic, un quintuple CD couvrant la période 1996-2009. Moins ambitieuse, la publication de The Obstacles of Romantic Exaggeration poursuit néanmoins la visite des archives de monsieur Drumm et en tire 1h30 de matériel resté dans l’obscurité pour différentes raisons. « Publication », le terme fait sourire lorsque l’on sait que l’édition est limitée à 19 exemplaires (tous ont été écoulés en moins de temps qu’il ne faut pour le dire) et que l’effort de présentation est manifestement absent du cahier des charges avec deux pauvres CD-R griffonnés à la main et enveloppés dans une feuille de papier. Et puis c’est quoi cette photo inexplicablement pourrie prise au téléphone portable dans le bus ? Y a-t-il un message caché dans le tatouage RHCP sur l’épaule de la fille ? Le plus déconcertant est que tout ça est bel et bien intentionnel …

On s’arrêtera donc à ce qui compte ici : la musique. Les morceaux rassemblés sont d’une grande diversité et balaient l’intégralité du spectre d’intensité sonore, de l’inexistant (la minute de blanc numérique de « Brutal Nothing ») au déferlement cataclysmique (« Hang the Hustlers » pour ne prendre qu’un exemple). Entre ces deux extrêmes viennent se loger des explorations pointilleuses du bruit blanc, des atmosphères caverneuses, des borborygmes analogiques, des tourbillonnements particulaires, de l’électrocution de machines. Qu’il gratte le fond de son terrier ou qu’il fasse trembler les murs, Drumm fait toujours preuve d’habileté, suivant des cheminements inattendus où règnent le contraste et le contre-pied, multipliant les strates pour atteindre une intensité qui conserve son tranchant dans la saturation ; les trois versions de « Gutsynth 2000 », titubant entre raz-de-marée abrasif et bidouillages stochastiques, offrent une illustration de ces tendances. On notera quelques clins d’œil comme « Fauxnakis » qui salue brièvement un certain compositeur de musique électroacoustique féru de modèles mathématiques ou « Hypnagogic Jerk », miniature bruitiste ultra-dynamique qui pourrait passer pour une version condensée d’un morceau de Kohei Gomi. Brillant par son titre, on remarquera aussi « This Sounded Like a Bad Fennesz Rip So I Bagged It…Until Now That Is » qui dit bien les choses et pourrait effectivement tromper son monde avec ses vagues doucereuses perçant à travers une épaisse brume lo-fi. Au total, si cette collection pèche par son hétérogénéité, elle n’en demeure pas moins passionnante pour la même raison. Il ne reste plus qu’à mettre la main dessus et, là, bonne chance (mais rien n’est perdu, voir plus bas) !

~jcg

un double CD-R paru chez Karl Schmidt Verlag (KSV 093)

PS : disponible uniquement auprès du label et instantanément épuisée, cette microédition est vouée à une seconde vie sur Internet. Le fait que Kevin Drumm ait lui-même donné son aval ôtera tout scrupule aux plus réticents qui se dirigeront ici pour télécharger les fichiers.

19/12/2010

L’Innomable se refait un nom

On ne sait pas trop s’il faut parler de résurrection pour qualifier le retour aux affaires de l’Innomable (sic). En tout cas, après trois ans de silence radio, on se réjouit de voir surgir une série éclectique de parutions chez le label slovène qui semble se porter à nouveau comme un charme. Pourvu que ça dure.

Au début des années 1950, Beckett, avec L’Innommable, parachevait sa fameuse trilogie de romans, limant un peu plus sa langue d’adoption et la dégorgeant comme personne pour dire la difficulté d’être et la tentation du néant. Un demi-siècle plus tard, l’influence de l’œuvre se manifeste sous un jour inattendu avec la création à Ljubljana d’un minuscule label de musiques inclassables qui s’empare du titre mais paume une consonne au passage. Depuis 2003, Luka Zagoričnik contribue à la documentation sans œillères de l’improvisation électroacoustique de tout poil et fait paraître en quantité limitée des CD-R élégamment empaquetés dans de fines pochettes conçues par Jani Peternelj, en charge du design. Après un long hiatus, L’Innomable reprend son activité et maintient le cap avec confiance. Preuves à l’appui : ces trois premiers disques de l’année 2010 qui s’annonce comme l’une des plus fertiles pour le label jusqu'à présent.

Ce ne sont pas les notes de pochette inexistantes qui l’indiquent mais le Stasis Duo est formé des australiens Matthew Earle (table de mixage, électronique) et Adam Sussmann (guitare, électronique). Connaître l’instrumentation mise en œuvre ne renseigne en rien sur les sons qui en émanent : transparents, infinitésimaux ; discrets crépitements frôlant les seuils de détection, impalpables oscillations se matérialisant comme des rides à la surface de l’eau. Une présence en filigrane qui aurait pu tout aussi bien naître du synthétiseur analogique de Jason Kahn ou de la no-input mixing board de Toshimaru Nakamura. On ne sait rien non plus sur les circonstances de l’enregistrement et on a d’autre choix que de se laisser porter par ces huit pièces sans titre qui, progressivement, semblent se dissiper, s’épurer toujours plus pour tendre vers l’immobilité parfaite. Une enveloppe fragile rongée par des décharges électroniques sous-jacentes est au bord de la désintégration, un ruissellement horizontal s’assèche en poudre précieuse et astringente, des fréquences dérivent et se concentrent en un point qui finit par les absorber totalement. Le travail est méticuleux et parvient à maintenir une densité en dépit du registre dans lequel il évolue, ce qui n’est pas peu dire.

Capturé en octobre 2004 au Goethe Institut de Buenos Aires, ce concert réunit des improvisateurs en provenance des capitales argentine et allemande. Andrea Neumann (cadre de piano) et Robin Hayward (tuba), par ailleurs membres du collectif Phosphor, sont des collaborateurs réguliers ; ils s’acoquinent ici avec trois musiciens locaux : Sergio Merce (saxophone ténor, électronique), Gabriel Paiuk (piano) et Lucio Capece (saxophone soprano, clarinette basse), lequel est à présent résident berlinois et n’a peut être pas été étranger à l’organisation de cette rencontre. Cet enregistrement est l’un des plus anciens témoignages de l’activité des musiciens concernés (Neumann mise à part) et, à ce titre, mérite toute notre attention. Ça cliquette, ça grésille, ça barbote par intermittence. Le plein et le vide semblent respecter une respectueuse alternance. Un galet frotté sur le bois évoque un train fantôme, les flux de salive côtoient des lignes à haute tension, des battements rapides s’emballent pour se muer en bourdon, les grincements de chaises et les toussotements de l'auditoire trouvent une place naturelle au milieu des mouvements d’air pulsé et autres raclements métalliques. Quelques passages évanescents caressent davantage l’oreille dans le sens du cil auditif, notamment à mi-parcours lorsque d’amples strates sonores générées par plusieurs musiciens se superposent dans une consonance quasi-bienveillante ou encore après 31 minutes lors du pic d’intensité de la session. Au total, le disque est honorable même s’il ne bouleverse pas les codes du réductionnisme ni ne constitue la cruciale pièce manquante que l’on espérait secrètement.

Chez L’Innomable, on n’a pas l’habitude du format CD et encore moins d’en sortir un à 500 exemplaires, soit deux à trois fois la quantité standard ! Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Nepretrganost est donc un mastodonte qui a vu le jour avec l’appui du ministère slovène de la culture ainsi que de l’institut Sploh, une structure spécialisée dans la production musicale d’avant-garde et dont le directeur artistique n’est autre que Tomaž Grom. Contrebassiste rarement entendu (sa dernière apparition discographique remonte à 2006 au sein du duo électroacoustique TILT), Grom s’associe à Seijiro Murayama dont le travail est largement plus documenté, lui qui a planté son set minimal de percussions en face de Jean-Luc Guionnet, Michael Northam, Eric Cordier, Eric La Casa ou encore Toshiya Tsunoda. Les premiers instants de ce disque en sont un condensé : sec comme un coup de trique, un balai frappe sur la caisse claire et, immédiatement, le choc résonne à travers le corps de la contrebasse comme s’il l’avait directement affecté. La complémentarité entre les deux musiciens rayonne. Le geste, d’autant plus affûté qu’il est souvent réduit à sa plus simple expression, compte autant que le son qu’il produit. Il s’agit de masser, de polir, d’effleurer avec un engagement total. Sans mimétisme, les jeux parallèles participent à la construction d’une même entité robuste mais instable et donc évolutive en permanence : du groove rachitique qui prend forme vers 4’30 sur « Dva » au drone cristallin qui oscille entre l’aérien et l’abrasif sur la superbe pièce suivante (« Tri ») grâce à une combinaison d’archets sur cordes et cymbale à laquelle semblent s’ajouter quelques discrètes préparations électroniques. Minimalisme obsessionnel, astiquage d’un centimètre carré de l’instrument ou vitalité débordante avec éclats et à-coups : tout est possible à chaque instant et le passage d’un état à l’autre se fait avec un naturel séduisant. Une musique souple, instinctive, clairvoyante qui laisse penser que ce duo a quelques beaux jours devant lui.

~ jcg

Stasis Duo :: s/t
Berlin-Buenos Aires Quintet :: s/t
Tomaž Grom & Seijiro Murayama :: Nepretrganost

deux CD-R et un CD parus chez L’Innomable ; distribution : Metamkine

autre(s) texte(s) sur Scala Tympani au sujet de Robin Hayward