13/09/2010

Thomas Ankersmit :: Live in Utrecht

Voila un artiste sonore qui aime explorer les tensions ; celles entre sources acoustiques et électroniques, entre improvisation et composition, entre frontières du domaine audible et perception. Peut être aussi une petite tension vis-à-vis du support audio à usage domestique ? Bonne nouvelle, celle-ci n’a pas empêché la parution de ce disque impeccable, premier éclairage significatif de son travail en solo.

Après plus de dix ans d’activisme sonore (improvisation, composition, installations, organisation de concerts), la notoriété de Thomas Ankersmit ne semble pas dépasser le cercle de ceux ayant eu l’opportunité d’assister à l’une de ses performances publiques. Bon, c’est vrai, ça commence à faire du monde au rythme où il enchaîne les apparitions un peu partout en Europe, avec une présence dans pas moins de huit festivals en France au cours des trois dernières années. En revanche, le vide est quasi-sidéral concernant sa discographie : deux CD-R autoproduits en édition ultra-limitée (dont l’un en collaboration avec Kevin Drumm), un split LP avec Jim O’Rourke en 2005 et… c’est tout, jusqu'à présent ! Inutile de préciser que ce Live in Utrecht, première parution d’Ankersmit en solo digne de ce nom, est un disque que d’aucuns désespéraient de voir sortir un jour et qui, du coup, est sérieusement attendu au tournant. Résultat : l’essentiel de ce qui fait la patte de ses constructions électroacoustiques complexes est ici retrouvé et on n’est pas déçu.

En première approche, la musique d’Ankersmit peut se voir comme le reflet direct de son parcours éclectique, ballotté entre les Pays-Bas (sa terre natale où il débuta ses expérimentations), New York (où il passa quelques temps à la fin des années 1990, faisant copain-copain avec Borbetomagus ou Phill Niblock) et Berlin (dont il est maintenant résident et où il s’immisce à l’occasion dans les scènes noise et improvisée). Même s’il a adopté le saxophone alto depuis longtemps, Ankersmit reconnaît être incapable d’en jouer de manière conventionnelle et a exclusivement recours aux techniques étendues (souffle continu, polyphonie) qu’il a développées en autodidacte.

L’instrument est exploité de cette manière pendant les premières minutes, s’accumulant en strates vibrantes dont la densité fournit un socle timbral à divers parasitages électroniques en provenance des entrailles d’un synthétiseur modulaire analogique, d’un ordinateur ou peut être des bandes de Valerio Tricoli dont certaines sont ici utilisées. Une imposante masse sonore se développe lentement, augmentant sa circonférence et multipliant les éléments qui la composent. La musique est « plutonique », à l’image du granite dont l’aspect compact révèle une infinité d’incrustations au fur et à mesure que l’on s’en rapproche. La substance semble ensuite se réduire sous les coups de meule qui en attaquent la surface et en découvrent les couches les plus profondes. De nouveaux détails se révèlent : arcs électriques, fréquences oscillant dans les limites extrêmes de l’audible et s’unissant en un drone implacable même si rongé de toutes parts et libérant des particules qui se projettent dans de multiples directions.

La dépressurisation se poursuit d’avantage pour atteindre un infime volume sonore où d’autres corpuscules scintillants folâtrent au sein de textures toujours aussi grenues. La température finit enfin par s’élever progressivement jusqu'à devenir écrasante, agitant les molécules environnantes et augmentant le rythme de pulsations irrégulières. Le saxophone fait son retour dans l’ultime segment de cette pièce à la structure relativement symétrique et renoue avec l’intensité liminaire, sur un pied d’égalité avec le meilleur du minimalisme rugueux made in NYC.

Parfait alliage entre âpreté des matériaux et sophistication de l’assemblage, ce disque tient toutes ses promesses. Néanmoins, on s’étonne de voir que la date d’enregistrement remonte à 2007, indiquant que les récents développements du travail d’Ankersmit restent à documenter d’une manière ou d’une autre. Espérons simplement qu’il ne faudra pas attendre cinq ans avant de voir ce vœu exaucé.

~ jcg

un CD paru chez Ash International (Ash 8.8) ; distribution : La Baleine, Metamkine

PS : une tournée européenne de Thomas Ankersmit et Borbetomagus est prévue en décembre 2010. Des dates sont envisagées à Lyon et Marseille (seules villes françaises évoquées pour l’instant).