10/01/2011

Compilation :: Klingt.org - 10 Jahre Bessere Farben

Une décennie de bons et loyaux services, c’est ce que peut légitimement célébrer, en 2010, Klingt, une remarquable plateforme internet fédérant une communauté musicale aux contours perméables. Dépassant largement son épicentre viennois, les secousses de cette activité rayonnent ici en 44 trajectoires et autant d’expérimentations tous azimuts.

Klingt.org, c’est ce qu’il faut taper dans la barre de votre explorateur internet pour entrer dans l’environnement conçu par Dieter Kovačič (alias dieb13) et découvrir des dizaines d’artistes et de projets qui ont leur site hébergé sous cette bannière cosmopolite. Pour un premier aperçu, on ne saurait trop vous conseiller d’aller jeter une oreille du côté du jokebux (sic) qui propose une invraisemblable quantité de morceaux à écouter sur place ou à télécharger. Pour ceux que ça intéresse, deux logiciels open source de traitement du son sont également disponibles : ppooll (anciennement lloopp) et kluppe. A propos de cette communauté protéiforme, Burkhard Stangl parle d’une « atmosphère de café viennois virtuel, un endroit où il fait bon traîner, où l’on peut trouver la paix et la tranquillité si l’on veut, où l’on peut parler à son voisin ou discuter avec l’hôte du lieu qui offre conseils pratiques et support technique pour toutes difficultés numériques ».

Deux CD bien remplis regroupent l’essentiel des artistes liés de près ou de loin au collectif. Apparaissant l’une et l’autre à plusieurs reprises, Billy Roisz (dispositifs vidéo audibles) et Angélica Castelló (enregistreur, électronique) unissent leurs forces dans le duo cilantro pour une pièce dominée par le feedback agressif des machines. Christof Kurzmann a également ses entrées et survole l’Amérique latine en 180 secondes et trois rencontres avec Fernando Perales (Argentine), Toto Alvarez (Chili) ou Gustavo H. Serpa (Brésil) le long d'une suite pleine d’échardes, qui va d’effleurements en collisions. Kurzmann donne également de la voix au sein du quartet pop The Magic I.D. pour un étrange télescopage avec le timbre de Margareth Kammerer et une relecture de quelques classiques. A grand renfort de platines et d’électronique, dieb13 évolue dans un registre plutôt abrasif qu’il soit en solo, en compagnie de Martin Siewert ou remplissant le quota non suédois du combo Swedish Azz. Un attirail similaire est employé par eRikm pour sa « Botelo de Klein » qui se veut une surface fermée, sans bords et non orientable et qui séduit par sa dynamique d’aplats de textures aux variations abruptes. Autre temps fort, la pièce de Kazuhisa Uchihashi demeure une énigme en passant d’une frénésie platinistique à une réverbération quasi-statique alors que son auteur n’est crédité que d’une guitare.

Au jeu des mystifications, on retiendra aussi Los Glissandinos (Kai Fagaschinski à la clarinette et Klaus Filip aux ondes sinus) qui, avec « Pop », restent à bonne garde de cet intitulé et déploient des fréquences implacables dans lesquelles s’infiltrent de délicates coulées instrumentales. La clarinette est approchée très différemment par Ernst Reitermaier qui, par un système de boucles, construit un drone suave et vacillant. Une démarche pas très éloignée de celle de Boris Hauf qui, à partir de saxophones, produit une polyphonie haut-perchée qu’il n’hésite pas à parasiter par un surprenant interlude. Aux antipodes du continuum chaleureux, on se tournera volontiers vers le dévastateur « Assembling the Forgotten Gate to Hell at Ibiza Beach (Postmortem Happy End Remix) » du duo K&K (Manuel Knapp et Peter Kutin) qui lorgne vers le laptop bien corrosif façon Mego des premières heures, avec torture de microprocesseurs et grands mouvements symphoniques en toile de fond. On signalera enfin la présence notable du « nimb#46 » de Toshimaru Nakamura qui allonge ici sa série de constructions très pointues à la no-input mixing board.

Avec plus de 2h30 de détournements divers, d’électronique paysagiste, d’improvisations transfrontalières, de jazz émancipé, de chansons fracturées, de lounge music insidieuse, d’isolationisme glacial ou d’impromptus soignant leur degré de décalage, il va sans dire que cette compilation ratisse large. Elle redonne aussi un coup de vernis sur les couleurs bariolées de ce refuge pour musiques sans œillères que représente Klingt, soulignant ses contrastes et mettant en relief ses constituants disparates qui coexistent en bonne intelligence et revendiquent une pluralité salutaire.

~jcg

un double CD paru chez Mikroton (mikroton cd 5/6) ; distribution : Metamkine

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