09/08/2010

Martin Küchen, Keith Rowe & Seymour Wright :: s/t

Spontanément, c’est Borbetomagus qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque l’atypique combinaison saxophone+saxophone+guitare. Ces instruments se retrouvent également malmenés par les trois improvisateurs ici réunis qui ne sont pas en reste question boucan. Le mode opératoire est néanmoins tout autre et à l’approche frontale se substituent des stratégies aussi obliques que subtiles.

C’est inévitable, le trio composé du bout de rosbif, de la cuillérée de purée et de la feuille de cresson qui orne la pochette de ce disque incite à établir des correspondances avec les musiciens impliqués. Mais qui donc est carnivore ? Qui joue comme une patate ? Aucune de ces importantes questions ne saurait trouver de réponse dans les notes de pochette quasi-inexistantes ; la mention « additional notes » qui surplombe une double page vide à l’intérieur du « livret » en dit long sur la volonté de préserver les mystères de la sainte trinité. On est donc livré à soi-même pour essayer de comprendre qui est qui et qui fait quoi dans cet enchevêtrement complexe de sons où de multiples interférences génèrent un signal autant qu’elles le brouillent. Vétéran de l’improvisation électroacoustique, Keith Rowe (guitare) est ici entouré de deux saxophonistes alto de la génération montante : Martin Küchen, membre de la scène free suédoise depuis une dizaine d’années, et Seymour Wright avec lequel il a déjà collaboré ici ou , et qui signe au passage son troisième enregistrement pour Another Timbre.

Décliner l’identité des instruments mis en œuvre peut s’avérer trompeur tant ceux-ci sont éviscérés par des techniques chirurgicales qui requièrent la minutie nécessaire et les outils adéquats. L’usage de ceux-ci semble collectif et non seulement réservé à Rowe comme on pourrait le croire ; des petits ustensiles électriques, des objets contondants et, surtout, un (des) poste(s) de radio joue(nt) un rôle crucial. Les ondes sont manifestement britanniques à en juger par les bribes vocales saisies au travers du bruit blanc dont le hasard fait qu’il laisse aussi filtrer des fragments de musique baroque et même la voix sensuelle de Sade (la chanteuse pop, pas le marquis) qui fait une brève incursion à 25:47. Ces figures aléatoires fonctionnent comme des points de cristallisation où les bruissements instables, le métal heurté, les marteaux piqueurs miniatures et autres frôlements périlleux semblent être domestiqués le temps d’une seconde. Cette constante superposition de matières changeantes, ce croisement de flux partant simultanément dans des directions différentes mais jamais opposées, ces tensions climatiques passant de l’activité la plus intense aux interventions les plus clairsemées créent une étrange unité qui se déconstruit à chaque fois que l’on tente de l’examiner. Comme sous l’effet d’un sortilège, un discours musical articulé et captivant émerge du chaos, encore que, comme disait l’autre, « chacun appelle « idées claires » celles qui sont au même degré de confusion que les siennes propres ».

~ jcg

un CD paru chez Another Timbre (at29) ; distribution : Metamkine

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