20/07/2010

Pascal Battus & Christine Sehnaoui Abdelnour :: Ichnites

Munis d’outils aussi différents qu’ils se révèlent complémentaires, deux investigateurs du son à l’oreille aiguisée s’improvisent paléontologues d’un jour. En remuant scrupuleusement ciel et terre pour mettre à jour un univers de détails, ils dévoilent autant l’éclat de leurs découvertes que la minutie de leur approche.

On s’arrête d’abord sur la pochette de ce disque : une étrange tapisserie champêtre où des cervidés diaphanes errent tranquillement à travers un sous-bois. On s’interroge ensuite sur son titre qui, désignant des empreintes fossilisées, conserve tout son mystère même si l’on y décèlerait volontiers la trace d’un manifeste musical. Un qui consisterait à sculpter en creux, à circonscrire plutôt que décrire, à appréhender une complexité corporelle en en livrant moins qu’une esquisse. On se réjouit enfin de voir collaborer de manière inédite deux musiciens dont on souhaite encore voir les discographies respectives s’étoffer. Dans la lignée de ses dispositifs non homologués (on se souvient de son usage très personnel du pick-up : « le microphone de la guitare enfin débarrassé d’elle »), Pascal Battus frotte à présent feuilles de papier, plaques de métal, bouts de bois, gobelets en plastic, blocs de polystyrène et autres cymbales contre des petits plateaux tournants entraînés par des moteurs électriques. Les sons produits par ces « surfaces rotatives » sont confrontés à ceux non moins radicaux propulsés par le saxophone alto de Christine Sehnaoui Abdelnour.

Aussi éloignés soient-ils dans leur mécanique, les deux instruments/dispositifs parviennent à explorer des palettes étonnamment voisines et on se trouve souvent confondu lorsqu’il s’agit de distinguer la provenance de telle stridulation ou de tel vrombissement dans ces improvisations grouillantes d’activité. Cet écosystème sonore, dont l’existence semble attestée par la métaphore animalière filée le long de ces cinq titres, renferme manifestement un point d’eau qui attire anophèles et pachydermes. Des herbes hautes et des rochers moussus font également partie du paysage ; le vent, surtout, change de directions à chaque instant : bourrasques imprévisibles ou puissants tourbillonnements. La saxophoniste concentre son souffle avec une détermination absolue sur des matières qui sont pulvérisées en éclats nets, déployant une intensité qui rappelle celle du jeu de Stéphane Rives (y aurait-il un truc propre aux improvisateurs de l’axe Beyrouth-Paris ?). Produisant des textures non moins astringentes, les machines tournantes de son acolyte évoquent aussi bien des membranes de coléoptères qu’une scie circulaire, poussant un peu plus loin la polyphonie. La convergence harmonique atteint parfois l’unisson dans des passages particulièrement tendus, qui miment sans le savoir le comportement de certains moustiques capables de synchroniser la fréquence de leurs battements d’ailes lors de certains rituels d’approche. A l’évidence, lorsque insectes ou musiciens sont (littéralement) sur la même longueur d’onde, ça s’entend et le plaisir n’en est que davantage partagé.

~ jcg

un CD paru chez Potlatch (P110) ; distribution : Orkhêstra, Metamkine

PS : cinq minutes montées à partir d’une performance des deux musiciens à l’église St Merri à Paris (29 mai 2009) peuvent être appréciées ici.