29/12/2010

David First :: Privacy Issues (Droneworks 1996-2009)

A en croire Kyle Gann, la musique de David First peut s’envisager « comme du Alvin Lucier très bruyant ou encore comme du Glenn Branca sans le lourd martèlement ». Ce raccourci flatteur ne saurait concerner l’intégralité de l’œuvre du compositeur mais donne, dans une certaine mesure, un aperçu des pièces ici réunies. Amateurs de drones luxuriants, prenez note.

A trop ressembler à Elliott Sharp (même volubilité dans l’astiquage du manche de son instrument, même home-sweet-home new-yorkais, même coupe de cheveux), David First finit par tomber dans des travers similaires, multipliant les projets dont la digestibilité n’est pas toujours garantie. Pourtant, entre l’héroïsme guitaristique décomplexé, les effluves new age et la pop synthétique apprêtée, First a parfois recours à des approches moins boursouflées. On rangera dans cette catégorie les Notekillers, son trio free rock de jeunesse réactivé ces dernières années sous le patronage de Thurston Moore et, bien sûr (surtout), certains de ces travaux autour du son continu et de ses infinies variations. Ici on ne vous ment pas sur la marchandise, c’est bien d’épanchements bourdonnants dont il s’agit, moins abrasifs que ceux de Tony Conrad, moins lumineux que ceux d’Eliane Radigue, moins massifs que ceux de Phill Niblock (qui, au passage, fait paraître ce triple CD sur son propre label), mais quand même suffisamment robustes pour inciter au plongeon.

First résume ainsi sa position vis-à-vis du drone : « gamme tempérée ou juste intonation, je n’ai jamais été un grand fan de l’une ou l’autre de ces approches exclusives. Ce que j’aime c’est la danse fluide et suggestive entre les deux, la dualité entre rythme et tonalité qui s’approche lentement de l’accord parfait, y resplendit pendant un temps puis se replace en orbite. ». Cette profession de foi est mise en application dans la musique qui nous est donnée à entendre, notamment dans « Zen Guilt/Zen Blame » qui ouvre la marche en grande pompe. Initialement conçue pour une installation, cette pièce utilise 21 samples chargés sur un synthétiseur Kurzweil K2000R et séquencés sur un ordinateur Atari 1040ST (la technologie dont disposait First à l’époque) ; les samples se succèdent et se superposent selon un cycle très précis qui génère une masse sonore en constante évolution pendant 30 jours après quoi la périodicité impose un retour au point de départ. Seules 35 minutes sont ici fixées, dans lesquelles le son du theremin vient se fondre et magnifier la nature captivante de la pièce. Les deux suivantes proposent une série de drones plus riches, plus épais, sonnant parfois comme les grandes orgues d’une cathédrale dont l’organiste se serait écroulé mort sur la console et faisant intervenir un ou plusieurs instrumentistes dont le jeu interfère avec les vrombissements ambiants : First (guitare avec aimant électromagnétique), David Nuñez (violon), Benjamin Dieltjens (clarinette, clarinette basse), Tom Pauwels (guitare) et Kim Van den Brempt (piano).

Les pièces les plus concentrées et les plus denses sont indubitablement celles occupant le premier CD, après quoi le propos a tendance à s’éloigner de la sobriété. Des interludes texturaux (avec comme source sonore sifflet à coulisse ou transistor) n’ont pas le temps de se développer de manière probante, des lancinances carillonnantes ont comme un arrière-goût de rance et l’incorporation d’un trop grand nombre d’éléments arrive à détourner totalement l’attention de la trame sous-jacente. Illustration de ces excès, « Aw !/Drawline Spout /Holi Spank » part d’un magma tiède et ondulant qui se fait graduellement gagner par une pulsation immuable (ceci n’étant pas sans rappeler les travaux atmosphériques de Günter Müller) puis finissent par se greffer contrôleurs MIDI et exubérances à la guitare pour parvenir à des culminances psychédéliques assez inappropriées. Seule pièce tirant vraiment son épingle du jeu au sein du CD2, « Belt » a des allures irrésistibles de mantra hypnotique avec sa structure en spirale et la sensation de vol à basse altitude qui s’en dégage.

Le troisième CD contient « Pipeline Witness Apologies to Dennis », une longue pièce (41’05) composée entre 2006 et 2009 et dédiée à Dennis Sandole dont First fut l’un des étudiants (l’histoire de la musique retient plus volontiers le nom de Coltrane dans cette catégorie). Est-ce l’hommage posthume qui confère à cette composition sa solennité ? Est-ce le registre grave des trombones de Chris McIntyre et de Peter Zummo qui vient l’appesantir ? On ne saurait dire mais, à nouveau, le temps s’étire avec naturel et équilibre, des phases progressives d’accélération et de décélération cherchent une stabilité qui se dérobe sans cesse. Malheureusement, dans la dernière section, un lent glissement infiltré par les claviers de "Blue" Gene Tyranny et par l’inévitable guitare de First s’immobilise et se dissipe dans des nuées célestes des plus kitsch. Au total, en près de trois heures de musique, seule une moitié parvient vraiment à convaincre, ce qui reste suffisant pour justifier l’acquisition de cet imposant volume.

~jcg

un triple CD paru chez XI (XI 134) ; distribution : Metamkine