30/09/2009

Burkhard Beins :: Structural Drift

Après Günter Müller ou Jason Kahn, Burkhard Beins sera t’il le prochain à abandonner son attirail de percussions pour se consacrer définitivement à l’électronique ? L’heure n’est pas aux spéculations mais plutôt à l’attention qui se doit d’être portée à un disque aussi convaincant qu’atypique dans le parcours de son auteur.

Musicien clé de la scène électroacoustique actuelle, Burkhard Beins s’est distingué dans bien des formations : Activity Center, Perlonex, Phosphor, The Sealed Knot, Trio Sowari, Polwechsel ou SLW. Mettant de côté pour un temps ses activités collaboratives, le percussionniste est allé passer trois mois (avril-juin 2009) au Künstlerhäuser Worpswede, une résidence d’artistes au nord de l’Allemagne. L’occasion pour lui de repenser certaines de ses pratiques musicales et d’approcher de plus près le synthétiseur analogique. Témoignage de cette période exploratoire, Structural Drift est un mystérieux assemblage de mouvements et de textures dont il est difficile de séparer l’aspect improvisé de la composition globale, si tant est que cette dichotomie ait une quelconque utilité. En près de quinze ans de carrière, il s’agit seulement du deuxième disque solo de Beins, après Disco Prova en 2007.

Les notes de pochette dévoilent les sources sonores ici utilisées qui, outre l’appareillage électronique, incluent une cithare contrôlée par un aimant électromagnétique, un dispositif pour réaliser des boucles, des allume-gaz, blocs de bois et autres plaques d’acier (liste non exhaustive). La contribution précise de ces différents éléments ne transparaît pas de façon évidente mais le résultat est tellement limpide et engageant que la question importe peu. « Drift 1 » fait un usage rigoureux de la synthèse analogique en imposant d’emblée une fréquence compacte, immuable, à la limite de la saturation. Une minute plus tard s’en ajoute une autre plus aiguë, puis une autre cette fois plus grave : les interférences se mettent en place générant d’inexorables pulsations. Des cordes de cithare en résonance viennent se superposer, ajoutant une épaisseur supplémentaire à une trame déjà massive et déplaçant d’autant l’équilibre précédemment atteint. Le mécanisme se poursuit ainsi, de modulations d’amplitude en addition/soustraction de fréquences. L’effet qui en résulte oscille entre techno minimale et radicalité psychoacoustique.

Il faut néanmoins attendre la seconde pièce (« Drift 2 ») pour atteindre le sommet du disque : une vingtaine de minutes d’une variété et d’un timing impeccables. Le drone est toujours aussi stoïque bien qu'infiltré de nombreux parasitages : grésillement électroniques ou flambée de bois vert. Puis le souffle brûlant d’un chalumeau s’immisce graduellement, des débris métalliques s’agitent avec frénésie (une portion de l’arsenal percussif habituel de Beins ?). Le bourdon sous-jacent s’interrompt brutalement, laissant la place à des sifflements suraigus auxquels succèdent les échos plaintifs de la cithare qui tranchent avec le caractère tendu de la construction générale. D’autres textures prennent le relais, s’enchaînant les unes aux autres ou se chevauchant. Quelques brefs mais violents accès bruitistes viennent déstabiliser l’ensemble mais la lancinante répétition d’un triplet de notes émanant de clochettes, accompagnée de pierres frappées l’une contre l’autre, ne manquent pas d’apaiser le tout.

Le troisième et dernier titre, intitulé -vous l’aurez compris- « Drift 3 », revient à des sonorités plus électroniques, organisées en segments contrastés : bruissements entomologiques, vrombissements d’ailes d'oiseaux, réminiscences de rythmes industriels, pales d’hélicoptère, alternance entre silence absolu et déflagrations qui jaillissent sans prévenir. Structural Drift en surprendra sans doute quelques uns qui, familiers du jeu de Beins, regretteront peut être ici l’absence de percussions au sens conventionnel du terme. Après plusieurs écoutes, ceux-là mêmes (ainsi que d’autres) devraient trouver, au contraire, que ce disque éclaire d’une lumière nouvelle l’œuvre du berlinois et, dans tous les cas, confirme sa polyvalence.

~jcg

un CD paru sous l’égide de Künstlerhäuser Worpswede (bb1) ; distribution : Metamkine

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