Assurément un maître dans l’élaboration d’espaces sonores aussi prenants qu’impalpables, Matt Shoemaker apporte une nouvelle pierre à l’édifice vibrant et lumineux qu’il na de cesse de construire depuis une décennie.
L’artiste américain poursuit son parcours qui, de ses débuts sur le label de Bernhard Günter jusqu'à ses enregistrements plus récents chez Helen Scarsdale, est d’une cohérence remarquable. Cette fidélité à Helen Scarsdale, il la partage avec Jim Haynes ou Loren Chasse dont les travaux ont indéniablement un degré de parenté avec ceux de Shoemaker. Erosion Of The Analogous Eye incorpore ainsi des field recordings de provenances diverses (ici des « phénomènes environnementaux » captés en Indonésie, au Cambodge ou aux USA) à des compositions électroacoustiques immersives où les sources sonores sont subtilement altérées, combinées les unes aux autres pour devenir insaisissables tout en gardant un fort pouvoir d’évocation.
A l’écoute de la première des trois plages (« Erosion A »), on se laisserait presque tenté par le catalogage facile : ah oui encore un disque à ranger dans la catégorie drone/ambient ! Pourtant, même si l’on est rapidement happé par une atmosphère enveloppante et sans pesanteur, de multiples dimensions émergent au fur et à mesure que l’on pénètre dans la pièce. Une lente dérive se met en place, se densifie méticuleusement, change imperceptiblement de fréquence et, au cours de ces transformations, révèle en arrière-plan des mouvements qui évoluent en toute indépendance. Avec une rigueur extrême et en même temps tout à fait naturelle, différentes strates se déplacent chacune dans leur direction, accélèrent, décelèrent, créant des déphasages à l’origine de pulsations que l’on distingue malgré leur degré d’enfouissement. Le lointain bourdonnement d’un moteur d’avion ou quelques percussions carillonnantes sont les rares éléments concrets discernables.
« Erosion B » débute dans un tout autre registre : martèlement métallique, ambiance de rituel occulte, résonances lugubres qui se fondent en une masse dense et caverneuse. Une fois le pic d’intensité dépassé, différentes sources instrumentales et environnementales sont mises à contribution : cordes vibrant sous l’effet d’un champ magnétique, clapotis délicat, trafic routier, courants d’air ou d’eau. Le disque se conclut avec « The Analogous Eye » qui se rapproche le plus de l’idée de soundscape avec une progression irrégulière et feutrée : rythme de la nature qui s’éveille, ondées passagères, feu de paille, ouverture de pierre tombale, paysages brumeux et omniprésente activité animale. Au final, un disque superbe qui fait preuve d’un très grand contrôle dans le déploiement des structures et d’une patte unique dans le traitement électronique du son sans jamais recourir à l’artifice.
~jcg
un CD paru chez Helen Scarsdale Agency (HMS015) ; distribution : Metamkine
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