10/01/2010

Peter Evans :: Nature/Culture

Manifestement hors d’atteinte depuis un impressionnant premier disque solo, le jeune prodige de la trompette remet le couvert avec un double album toujours aussi intransigeant et virtuose.

Partagé entre des formations de jazz post-bop (son propre quartet ou le groupe Mostly Other People Do The Killing) et des collaborations plus aventureuses (avec Weasel Walter, Tom Blancarte ou Nate Wooley), Peter Evans éprouve de temps à autre le besoin de se retrouver face à lui-même. Nouveau témoignage de ses recherches en solitaire, Nature/Culture se décline en deux disques, tous les deux enregistrés en 2008 à Brooklyn : le premier en studio, le second dans des conditions live.

Ceux encore sous le choc de More Is More, opus révélateur paru chez Psi en 2006, ne seront pas déçus. Sans jamais céder à la démonstration, le tour de force instrumental est à nouveau étourdissant. C’est davantage la structure des improvisations et la finesse texturale qui se sont développées dans l’intervalle, atteignant ici de nouveaux sommets.

Le morceau d’ouverture, « micro », débute sur un frémissement, une plainte fragile qui est rapidement absorbée par un puissant flot sonore. Ce son plein, dense, chargé de particules, tantôt traversé d’accès de lyrisme tantôt déchiré d’exhortations rageuses, et qui est la marque de fabrique du trompettiste américain, on le retrouve ici pendant près de deux heures. Attention donc à la surcharge d’informations, même pour l’auditeur aguerri !

Le souffle continu explore souvent les franges de la saturation avec une acuité inédite grâce à une prise de son méticuleuse. Ainsi, sur le disque studio, une combinaison de micros disposés à des endroits stratégiques permet de multiplier les perspectives auditives et de percevoir avec clarté au milieu de la masse sonore les microtintements métalliques dus aux pressions digitales sur le corps de l’instrument, les vibrations des lèvres sur l’embouchure ou les vocalisations sporadiques qui ne sont pas sans rappeler la hargne d’un Mats Gustafsson.

Cette dualité permanente entre frénésie multiphonique et peaufinage en temps réel du moindre détail rend cet album tout simplement inépuisable. On notera plusieurs pièces qui étendent le registre de la trompette, notamment « the chamber » faisant un usage très particulier de sourdines et l’hypnotique « five » qui engloutit progressivement l’auditeur dans un drone profond avant d’y mettre fin de la façon la plus abrupte. On retiendra aussi l’étonnant « Technology » qui, faisant suite aux 37 minutes de l’improvisation magistrale donnant son titre au disque, conclut dans un registre très jazz qui soudainement dérape vers le larsen le plus inattendu.

Il ne faut pas plus de quelques secondes pour reconnaître l’immense musicalité du jeu d’Evans. Plus que cela, c’est sa capacité à déployer continuellement de nouvelles ressources, à changer de cap en permanence tout en suivant une ligne irrésistible qui forcent l’admiration. On se demande juste avec un soupçon d’inquiétude (pour la forme) : mais combien de temps pourra t’il se maintenir à ce niveau de performance ? On se souvient aussi s’être dit la même chose à la sortie de More Is More et… on a ici la confirmation que la devise du trompettiste semble bel et bien être « toujours plus » !

~ jcg

un CD paru chez Psi (09.05/6) ; distribution : Orkhêstra

PS : chouette duo Peter Evans/Nate Wooley ici (Rhythm in the Kitchen 2008, NYC)