11/01/2010

Eliane Radigue :: Vice-Versa etc. & Triptych

Après Table Of The Elements, Fringes et Schoolmap, c’est au tour du label Important Records (qui mérite ici pleinement son nom) d’extraire des archives de la compositrice plusieurs pièces qui auront mis plus de trente-cinq ans à paraître sur disque. Il était temps.

Chez Important Records, ils aiment pas mal de choses. Outre Merzbow (pas moins de deux douzaines de disques parus chez eux depuis 2002 !), leur foisonnant catalogue comporte la fine fleur de la scène noise US actuelle (Daniel Menche, Carlos Giffoni, Prurient, C. Spencer Yeh), pléthore de groupes psychédéliques plus ou moins digestes (Acid Mothers Temple, Vibracathedral Orchestra, LSD March), quelques ovnis histoire de soigner son image éclectique (Noam Chomsky, Henry Jacobs, John Fahey, Smegma, Mars) et une poignée de compositeurs expérimentaux bénéficiant de rééditions historiques : Pauline Oliveros, Conrad Schnitzler et, à présent, Eliane Radigue. Pas franchement surprenante vu le penchant affiché de la maison pour le drone minimaliste, cette double parution était, dans tous les cas, rigoureusement nécessaire.

Créée en 1970 pour une installation sonore dans une galerie parisienne, Vice-Versa, etc. constitue l’ultime pièce pour feedback et bande magnétique d’Eliane Radigue avant qu’elle n’abandonne ce dispositif au profit du synthétiseur analogique. Une œuvre de transition donc (bien qu’il soit difficile d’apprécier le cheminement parcouru en absence de publication des travaux antérieurs - puisse cette lamentation être entendue !) et qui annonce déjà tout ce que l’on connaît : l’exploration du timbre sur une durée étendue, le mouvement immobile et l’expérience sensorielle quasi-mystique. Même primitifs, ces éléments se distinguent nettement dans cette pièce dont la diffusion à dix exemplaires n’a pas vraiment touché qui que ce soit à l’époque. L’objet initial était une bande stéréo dont les deux pistes pouvaient se lire séparément ou simultanément. Les notes originales de Radigue suggèrent d’employer « toute combinaison des deux voix, dans un sens ou l’autre, sur plusieurs magnétophones ad libitum… ». La version CD permet dans une certaine mesure d’appliquer ces consignes en proposant un enregistrement de la bande jouée à quatre vitesses différentes, aussi bien à l’endroit (« onward », CD1) qu’à l’envers (« backward », CD2). Bien sûr ceci requiert l’équipement audio adéquat et ravira en priorité les adeptes de la multi-diffusion qui, après 3D de Keith Rowe & Seymour Wright ou les Dream House Variations de Keith Fullerton Whitman, auront à nouveau de quoi s’amuser. Pour les autres, sachez que la succession des plages permet tout à fait d’apprécier l’altération des fréquences et de leurs interférences pulsatiles : autant d’occasions de décrasser les membranes de vos haut-parleurs ou d’atteindre les portes de la perception.

Présenté avec un design similaire (toujours ces belles photos d’archives noir et blanc), le second disque n’a pour autant que peu de points communs avec le précédent. S’il faut absolument choisir (mais, vraiment, pourquoi le faire ?), Triptych (1978) est une composition à part entière qui est peut être davantage instantanément séduisante et à qui les écoutes répétées profitent de manière plus évidente. Cette fois, c’est avec son ARP 2500 que Radigue élabore cette suite en trois mouvements, retournant à ses activités musicales après s’en être éloignée suite à son rapprochement avec le bouddhisme qui exercera une influence majeure sur son œuvre à venir. D’une infinie subtilité, cette lente progression résonne avec les éléments naturels (brise et ressac sonnent comme des prises de son extérieures pendant les premières minutes) avant qu’ils ne se dématérialisent graduellement dans une inertie sereine et hors du temps : un espace sonore sans cesse revisité par Radigue et un envoûtement autant de fois renouvelé pour l’auditeur.

~ jcg

deux CD parus chez Important Records (imprec259 & imprec260) ; distribution : Metamkine