13/01/2010

Seth Nehil :: Flock & Tumble

Défiant toute catégorisation formelle, cette suite aux frontières de la musique concrète, de l’improvisation et du naturalisme contemplatif est une œuvre électroacoustique de premier plan. Beaucoup de mouvements et un soin extrême apporté à chaque détail comptent parmi les atouts de ce disque majeur dans la carrière de l’artiste sonore de Portland.

Curieusement, le nom de Seth Nehil apparaît régulièrement dans la sphère des musiques expérimentales sans que l’on parvienne toujours à l’associer à un disque en particulier. Désormais c’est à Flock & Tumble que l’on pensera. A regarder sa discographie, on le retrouve plus souvent en partenariat avec John Grzinich, Olivia Block, Brendan Murray ou Matt Marble qu’en solo. Ainsi croit-on cerner le domaine musical dans lequel il évolue : du minimalisme finement texturé bordant à l’occasion sur l’écologie sonore. Sans totalement invalider cette perception, ce nouveau disque permet surtout de l’affiner et de se rendre à l’évidence : non seulement Nehil choisit ses matières sonores avec un discernement absolu mais il fait preuve d’un sens de la composition tout à fait saisissant.

Le processus créatif derrière tout ça demeure essentiellement secret. A peine sait-on que des sources sonores furent enregistrées entre 2006 et 2007 puis retravaillées/agencées pendant plus de six mois. D’occasionnels field recordings semblent en effet pouvoir être discernés, de l’averse captée du fond d’une grange aux crissements des pas dans la neige en passant par les gloussements d’un troupeau d’oies. Il est évident aussi que d’habiles traitements électroniques les rendent parfois méconnaissables et, à l’inverse, plusieurs sonorités que d’aucuns qualifieraient d’analogiques font preuve d’un mimétisme confondant avec les bruissements de la nature. Plus que par son jeu de filtrage, la dimension mystificatrice de Flock & Tumble tient à sa « mise en scène » quasi-théâtrale sur certains segments. Notamment, l’utilisation singulière des voix (quelques phonèmes impénétrables produits par huit participants) sur « Whuip » ou « The Sun » donne la sensation étrange de tomber sur un chœur antique au détour d’un bosquet et surtout parvient à stimuler l’imaginaire avec une économie remarquable de moyens.

Glapissements, percussions sporadiques, résonances métalliques entre vieux piano désaccordé effleuré sur les cordes et hautes fréquences numériques, jets de rondins de bois et nappes de bruit blanc forment un ensemble mystérieusement évocateur mais toujours d’une grande cohérence, avec un montage précis et une très belle mise en espace. Un sens de la narration qui rappelle certains travaux de Ralf Wehowsky ou de Lionel Marchetti, des sonorités plus proches de la musique contemporaine que des épanchements dronatiques et, finalement, une œuvre unique qui se révèle un peu plus à chaque écoute.

~ jcg

un CD paru chez Sonoris (sns-06) ; distribution : Metamkine