Depuis une quinzaine d’années, Polwechsel est un ensemble vital pour le développement d’une esthétique de la musique contemporaine que d’aucuns qualifient de réductionniste. Au sixième chapitre de leur odyssée passionnante, le groupe modifie une nouvelle fois sa géométrie en invitant le pianiste John Tilbury pour une rencontre tout en nuances.
C'est qu'il commence à y en avoir du monde qui est passé par la case Polwechsel ! Du quatuor original, il ne reste plus que Michael Moser (violoncelle) et Werner Dafeldecker (contrebasse) qui, comme le plus souvent, signent les compositions. Même s’il s’est depuis éloigné du groupe, John Butcher (saxophones soprano et ténor), successeur depuis longtemps de Radu Malfatti (trombone), figure sur cet enregistrement. Burkhard Beins et Martin Brandlmayr (batterie, percussions), membres du collectif depuis 2004 suite au départ du guitariste Burkhard Stangl, prolongent quant à eux leur mandat. La nouveauté provient ici de la participation de John Tilbury qui, comme Fennesz l’avait fait en 2002, vient enrichir la palette de l’ensemble.
La première plage, « Place/Replace/Represent », est une composition de Moser. Discrètes percussions sporadiques, chocs sourds, souffle évanescent, glissements sur peaux et cordes, tonalités résonnantes suivent de lents chemins parallèles et se combinent parfois, comme sous l’effet d’une mystérieuse périodicité à laquelle chaque musicien semble être soumis à des intervalles différents. Les notes cristallines du piano, effleuré avec une extrême pondération, traversent les textures et fixent aisément l’attention. Connaissant la proximité de l’interprète avec le répertoire feldmanien, on ne peut d’ailleurs s’empêcher d’y entendre des échos.
Le continuum feutré de la première pièce n’annonce en rien l'intensité des contrastes de l’œuvre-titre dont on doit l’écriture à Dafeldecker et qui emploie des stratégies très différentes. Trois notes distinctes et lentement égrenées sont rapidement englouties par un essaim d'abeilles, véritable mur de particules dont on peine à croire qu’il puisse s’ériger en l’absence de contribution électronique. Le brutal retour au calme qui s’ensuit est très relatif, de lugubres étirements et autres pulsations instables le rendant vite inconfortable. Cette alternance - entre agitation fourmillante où les contributions instrumentales se fondent en un enchevêtrement dense et indissociable et suspensions aériennes qui se font de plus en plus pesantes à mesure que l’on progresse dans ce « Field »- forme le cœur de sa structure. La fracture finale intervient sans signe annonciateur, à l’image de cette pièce radicale qui, à elle seule, donne à ce disque tout son tranchant.
~jcg
un CD paru chez Hat Hut (hatOLOGY 672) ; distribution : Harmonia Mundi
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