22/06/2010

César Bolaños :: Peruvian Electroacoustic And Experimental Music (1964-1970)

Sur la carte des musiques d’avant-garde telle qu’on la trace dans nos contrées, le Pérou semble proche de l’inexistence et il faut reconnaître que, sur la seule base de son intitulé, ce disque attise déjà une authentique curiosité. En rassemblant pour la première fois l’essentiel des œuvres de César Bolaños sur un double CD, Pogus entend bien mettre un coup de projecteur sur un compositeur largement laissé dans l’obscurité.

Mais tout d’abord qui est César Bolaños ? Les instructives notes de pochette de Luis Alvarado fournissent quelques éléments de réponse : né à Lima en 1931, Bolaños y étudie le piano au conservatoire et suit les cours d’Andrés Sas, compositeur et musicologue d’origine belge expatrié au Pérou. Il rejoint le mouvement Renovación avec Sas et d’autres compositeurs de sa génération : Edgar Valcárcel, Pozzi Escot et Francisco Pulgar Vidal avec qui il organise des concerts et édite un magazine musical. Poursuivant ses études à New York, il y rencontre Alberto Ginastera qui lui offre une bourse pour étudier au Centro Latinoamericano de Altos Estudios Musicales (CLAEM) de l’institut Di Tella à Buenos Aires, qui fut un peu le Darmstadt de l’Amérique latine dans les années 1960. C’est dans le laboratoire flambant neuf de musique électronique du CLAEM que Bolaños explore la bande magnétique et compose, en 1964, sa première pièce pour ce médium. Il ne cessera ses expérimentations qu’au début de la décennie suivante, dans un contexte troublé par les révolutions (argentine ou péruvienne) globalement peu favorables au développement d’une musique considérée comme un avatar de l’impérialisme culturel occidental. De retour à Lima en 1973, Bolaños s’adonne à un autre de ses penchants : l’histoire de la musique de l’époque préhispanique au sujet de laquelle il publie plusieurs ouvrages.

Entamant de belle manière cette anthologie, l’historique « Intensidad y Altura » est une pièce pour bande dont le montage délicieusement rugueux mêle souffle éraillé, clameurs confuses et râle de poète maudit, peut être celui de César Vallejo qui est ici le dédicataire et la source d’inspiration. « Interpolaciones » met à contribution la guitare nonchalante de Julio Martin Viera dans un registre minimal dissonant qui aurait presque des airs de Chadbourne avant l’heure et qui se laisse gagner par d’imprévisibles bidouillages de magnétophones. S’ensuit « Flexum », une remuante composition pour divers instruments et bande dans laquelle sont malmenés piano, percussions, contrebasse, accordéon et où, à nouveau, l’intervention inattendue de glapissements et autres vociférations confère à l’ensemble une animalité rafraîchissante. Comparativement, les « Divertimento » I et III pour petit ensemble de chambre ne suscitent pas le même enthousiasme tout comme « I-10-AIFG/Rbt-1 » pour cor, trombone, guitare électrique, percussions, radio et bande qui, sans toujours parvenir à captiver, déploie un procédé sophistiqué de signaux lumineux synchronisés de manière automatique afin de diriger les musiciens.

Le second CD renferme trois œuvres datant de 1970. Les deux premières appartiennent à la série ESEPCO (estructura sonora-expresiva por computación) conçue avec le mathématicien Mauricio Milchberg. Si la partition semble avoir été générée par ordinateur en réponse à des paramètres introduits par les compositeurs, le processus de création demeure peu explicite. « Sialoecibi, ESEPCO I » met en scène un pianiste (Gerardo Gandini) et un « réciteur-mime-acteur » (Norberto Campos) qui dialoguent sur un mode quasi-théâtral, l’influence de Kagel planant aux abords. La compréhension de l’espagnol est, certes, un avantage mais d’autres clés se dérobent dans cette performance dont la dimension visuelle semble importante comme l’attestent les réactions du public et les craquements de planches trahissant les déplacements sur la scène. Largement plus convaincante, « ESEPCO II » est une « chanson sans paroles » (« canción sin palabras ») pour deux pianos, joués par Edgar Valcárcel et Bolaños lui-même, et environnement électronique. Un jeu sobre sur les touches et l’exploitation des résonances du cadre offrent de beaux passages, incluant quelques tensions stridentes et autres pics d’intensité du meilleur effet. Fermant la marche, « Nacahuasu » pour 21 musiciens et un réciteur est basée sur le journal de campagne de Che Guevara. Commission de la radio de Brême pour le festival Pro Musica Nova, c’est sans doute la composition de plus grande envergure de son auteur. La longue incantation monotone n’est cependant pas très bien servie par la qualité approximative d’enregistrement qui, si elle peut apporter un charme supplémentaire à certaines compositions pour bandes, devient parfois problématique pour cette pièce acoustique dont le relief est largement mis à mal.

Dans cette compilation qui, rappelons-le, est la seule documentation digne de ce nom du travail de César Bolaños, ce sont les œuvres électroacoustiques qui, par leur inventivité et leur indéterminable spontanéité primitiviste, sont les plus enthousiasmantes. On regrettera donc l’absence de « Lutero », « Yavi », « Dos en el Mundo », « Las Paredes » ou des « Espacios » I, II et III, autant de pièces électroacoustiques listées dans le catalogue du compositeur sans qu’il soit possible d’y jeter une oreille. A moins que la publication d’un second volume ne soit envisagée par le label… ça serait pas le Pérou quand même !

~ jcg

un double CD paru chez Pogus (21053-2) ; distribution : Metamkine

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PS : pour en savoir plus sur la musique électroacoustique latino-américaine d’une manière générale, la consultation du dossier de Ricardo Dal Farra sur le site de la Fondation Daniel Langlois est vivement recommandée.