29/06/2010

Mikroton :: nouveau repaire pour minimalisme électroacoustique

Plus d’un an après son apparition dans la constellation des labels consacrés à l’electronica expérimentale, Mikroton semble plutôt bien se porter si l’on en croit la liste de ses parutions envisagées, presque aussi longue que son catalogue déjà existant. L’occasion de revenir brièvement sur les quatre premiers titres.

Seul et même (?) homme aux manettes du label moscovite, Kurt Liedwart/Vlad Kudryavtsev entretient manifestement des liens privilégiés avec certaines figures de l’improvisation électroacoustique européenne, du côté de Vienne (Christof Kurzmann, Werner Dafeldecker) comme de la Suisse alémanique (Günter Müller, Jason Kahn). En effet, impossible à ce jour de trouver le moindre disque chez Mikroton qui ne fasse pas appel à l’un de ces quatre-là. Du coup, l’orientation artistique du label s’inscrit dans la continuité de celle de For4Ears ou Charhizma, la diversité en moins à ce stade encore précoce de l’éclosion.

Parue en avril 2009, la première référence est signée Günter Müller qui, avec Cym_Bowl, réalise son quatrième disque solo. Percussionniste à la base, il emploie sur chacune des quatre pièces de l’album une unique source sonore : cymbale ou bol chantant (d’où le titre), qui, au final, se retrouve tellement altérée qu’elle en est absolument méconnaissable. Les qualités timbrales des instruments sont exploitées, transformées, amplifiées par un traitement numérique qui en décuple la puissance et en lisse les aspérités. Impassible et obstiné sans jamais être intrusif, l’environnement sonore forme le plus souvent une immense réverbération constituée de nombreuses fréquences qui évoluent très doucement et dont les interactions pulsatiles évoquent à l’occasion les saccades des pales d’un hélicoptère survolant les dunes d’un désert. On retiendra surtout « Third Cym » où une basse vrombissante maintient en effervescence une myriade d’événements infinitésimaux qui viennent buller à la surface et « Bowl » qui, tout en restant méditatif, offre comparativement une plus grande diversité d’atmosphères et une substance plus versatile. Enfin, bien que Müller utilise lui-même l’iPod dans son dispositif électronique, on ne saurait trop en décourager l’usage pour écouter sa musique tant celle-ci sollicite les basses fréquences et repose sur une perception spatiale du son.

Après plusieurs années passées à Berlin, c’est à Buenos Aires que réside à présent Christof Kurzmann dont les accointances latino-américaines étaient déjà mises à jour sur l’album Neuschnee enregistré en partie au Chili et au Pérou. C’est aussi dans la capitale argentine que cette session a été capturée, réunissant Kurzmann et trois improvisateurs locaux : le prolifique et éclectique Alan Courtis (violon bricolé maison, micro contact, bandes, mp3), Pablo Reche (minidisc, iPod, processeur d’effets numériques, synthétiseur) et Jaime Genovart (enregistrement, synthétiseur) ; tous les trois semblant appartenir au comité d’accueil officiel lorsqu’une sommité étrangère fait escale, qu’il s’agisse de Zbigniew Karkowski ou de Günter Müller. On se laisse porter sans difficulté dans cette lente dérive au cœur de la moiteur tropicale où l’air miroitant est transpercé de nombreux signaux : bruissements dans les herbes hautes, tintements cristallins, lointaines rumeurs saisies par hasard, émanations immatérielles. On baigne dans une vapeur sédative dans laquelle la clarinette mélancolique de Kurzmann vient parfois s’immiscer, chargée d’une affectivité qui contraste avec les ambiances abstraites dominantes. Ce principe est mis à l’œuvre au cours de l’engageant « Uranio Agreste » et adoucit d’autant la confusion qui s’installe progressivement. Décidemment adepte du décalage sans complexe, Kurzmann va jusqu'à pousser la chansonnette en puisant dans le grand songbook mondial, une habitude dont il ne semble plus se départir depuis les deux premiers disques de la division ErstPop. Cette fois-ci, c’est une improbable reprise du « As Tears Go By » des Stones à laquelle on a droit en arrière-plan de « Berillio », qui, avec ses braiements et son feedback dissonant, est probablement le titre le plus singulier de Palmar Zähler.

Il y a une certaine idée d’enfouissement et de désintégration dans la musique de Jason Kahn (synthétiseur, percussion) comme dans celle d’Asher (enregistrements et lecteurs) ; leur rapprochement apparaît donc dans l’ordre le plus normal des choses. Après Vista, fruit d’une collaboration à distance, Planes documente la toute première rencontre en chair et en os des deux artistes sonores, dans une galerie de Boston en 2008. D’un grand dépouillement comme on pouvait l’attendre, ce disque regorge néanmoins de détails discernables à travers les expirations transparentes et le souffle discret des dispositifs analogiques : field recordings de cour d’école ou percussions brièvement effleurées. Au-delà de ces quelques sonorités révélatrices de leur auteur, les univers se confondent en une matière diffuse, insaisissable et changeante. Une atmosphère qui s’entretient avec incertitude, à la manière d’un tapis de braises caressé par le vent et où, même rougissant par accès, les charbons ne sauraient produire de flamme, voués qu’ils sont à une extinction lente et inéluctable.

Werner Dafeldecker (électronique, contrebasse) et Christof Kurzmann (logiciel lloopp, clarinette) ont manifestement de la suite dans les idées. Après un disque orange en 1999 et un vert en 2003, la déclinaison du spectre de la lumière se poursuit avec ce nouvel opus, violet, dont le design est rigoureusement identique à celui des précédents. Comme à l’accoutumée, d’autres musiciens viennent se joindre au duo : ici John Tilbury (piano) et Stevie Wishart (vielle à roue). Ah la vielle à roue, ce vénérable instrument qui semble prédestiné à la musique éternelle et qui, entre les mains de Keiji Haino ou celles de Yann Gourdon, produit parfois des miracles... Cependant, un timbre âpre et un contrôle limité du volume sonore ne sont pas forcément des atouts dans un contexte d’improvisation collective où des sonorités plus dissimulées sont à entendre. C’est assurément le point faible de cet enregistrement qui, parfois, est un peu trop sous l’emprise de la vielliste britannique qui n’hésite pas non plus à déployer un jeu considérablement plus expansif que celui de ses partenaires. A l’opposé, le doigté plein de retenue Tilbury prend la forme d’ornements délicats et laisse toute la place aux discrets gargouillements électroniques et autres interventions instrumentales non invasives. On s’étonne ponctuellement de la tournure prise par les événements, notamment au début de « Wien 5 » où la répétition de courts motifs par la clarinette et la vielle a presque des allures de transe digne des Masters Musicians of Jajouka. Un disque pétri de bonnes intentions mais dont peu parviennent à se concrétiser en raison d’un rapport de forces souvent inégal.

~ jcg

Günter Müller :: Cym_Bowl
Alan Courtis, Jaime Genovart Christof Kurzmann, Pable Reche :: Palmar Zähler
Jason Kahn & Asher :: Planes
Werner Dafeldecker, Christof Kurzmann, John Tilbury, Stevie Wishart :: s/t

quatre CD parus chez Mikroton (mikroton cd 1-4); distribution : Metamkine

autre(s) texte(s) sur Scala Tympani au sujet de Werner Dafeldecker, Jason Kahn, Christof Kurzmann, Günter Müller, John Tilbury et Mikroton