11/06/2010

Olivier Capparos & Lionel Marchetti :: Equus (Grand Véhicule)

C’est toujours avec un certain titillement que l’on approche une nouvelle pièce de Lionel Marchetti. Celle-ci, conçue en collaboration avec Olivier Capparos, ne fait pas exception et se révèle une composition parmi les plus abouties dans son catalogue désormais foisonnant.

C’est à petites foulées que nous parvient finalement ce Equus, bien longtemps après sa réalisation dans les studios du GRM en 2001-2002. A l’image de celle ayant conduit à l’émergence de son support, la trajectoire de cette pièce est pour le moins sinueuse, comme guidée par les pas du cheval sans tête qui orne la pochette. Ruade dans la brume ou cruelle mutilation, l’illustration ne manque pas d’évoquer un autre Equus, celui de Peter Shaffer qui, en 1973, s’immisçait dans le psychisme tourmenté d’un jeune homme fasciné par les chevaux au point d’en aveugler une demi-douzaine. De Peter Shaffer à Pierre Schaeffer il n’y a qu’une glissade paronymique et quelques univers que Lionel Marchetti et Olivier Capparos n’ont pas peur d’affronter avec détermination. Une musique concrète qui ne renie pas l’art du recyclage sonore et où les références abondent, comme autant de piques stimulant l’inconscient collectif. Dans ce « parcours d’aveugles », au gré duquel quelques sabots viennent à l’occasion tracer une ligne unificatrice, l’ouie est en alerte permanente, s’accrochant au moindre fragment identifiable, essayant malgré elle de déchiffrer des indices souvent rendus méconnaissables par de subtils filtrages.

Entre les vibrations enveloppantes et les grésillements instables se faufilent bon nombre de « présences sonores et voix », fragments disparates d’archives radiophoniques ou d’enregistrements personnels qui insufflent une part d’humanité à cette composition énigmatique. Des jeux habiles de superpositions et de contrastes décontextualisent ces bribes vocales, un soudain changement de plan fait jaillir une séquence cinématographique : du trouble de Fenêtre sur Cour à la dystopie caricaturale de Soleil Vert (« they’re making our food out of people! »). Des textes poétiques sont également brandis brièvement, parmi lesquels la quatrième églogue de Virgile en VO, les anagrammes de Hans Bellmer et Nora Mitrani, ou le terrible With Usura déclamé par Ezra Pound en personne, et nourrissent une confusion générale qui demeure savamment orchestrée.

On s’égare souvent au cours de ces 33 minutes et 33 secondes mais on finit toujours par retrouver son chemin malgré les détours, les interruptions, les ruptures. Un peu comme dans un demi-sommeil plus ou moins agité où la pensée divague, s’embarque sur le premier fil passant à sa portée et l’abandonne aussi vite. Des errances qui, ici, nous entraînent à travers une mémoire à la fois intime et universelle, pétrie de rituels inconscients et de voyages au cœur du système limbique.

~ jcg

un CD paru chez Pogus (21052-2) ; distribution : Metamkine

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