Allez, chiche on l’fait ? On reprend du service après une pause de… plusieurs mois (!) et on colle à l’actualité comme ça n’arrive pas souvent ! Une belle occasion de retourner au clavier est le souvenir encore intact de la dernière édition du Festival des Musiques Innovatrices de Saint-Etienne qui, comme à son habitude, rassembla des particules sonores de toutes provenances et, le temps d’un long week-end, les cristallisa en un assemblage composite puisant sa richesse dans les éclats discrets de ses multiples facettes.
Loin des ambitions mondialistes et de l’actualité brûlante de son homonyme siégeant à Washington DC, le FMI qui s’empare du très beau site Couriot (un ancien puits minier reconverti en musée) fait quand même la part belle au multilatéralisme. Le millésime 2011 en apporta la preuve avec une oreille tendue tout particulièrement vers le Japon mais aussi vers les percussions bien d’chez nous, le platinisme expérimental d’Europe centrale ou les performances vocales hors-frontières. Retour rapide (sans le son mais avec l’image) sur quelques moments mémorables…
26 mai : ouverture du festival par Super Jean-François Plomb, héros local dont les machines sonores portatives se révèlent pleines de ressources. Quelques valises, des petits moteurs électriques, des roues qui tournent, des débris métalliques, un assortiment digne d’un vide-grenier : rien ne manque à ce concerto pour ressort et bobines aux résonances de sanza mécanique et de bruitisme de chambre.
Très attendu, le singulier duo formé par Tom Smith (anti-rock star, poète maudit, cerveau malade de TLASILA) et Kevin Drumm (icône de l’électronique radical) tient toutes ses promesses. D’un charisme débordant, Smith la joue dandy voluptueux, divague à l’envi, délivre des mots avec une sincérité absolue, se contorsionne pour une syllabe et meurt sur scène plusieurs fois par chanson. Drumm fournit la texture sonore, discrètement abrasive ou lacérée de fulgurances, et parasite malicieusement les élucubrations de son complice. Oscillant entre cabaret minimaliste et perte d’équilibre contrôlée, la performance s’achève sur une reprise assez improbable (et non parodique) de « Lipstick » de Jedward, le duo qui représentait l’Irlande au dernier concours de l’Eurovision. « It’s a great song really, you know! » confie Smith et, effectivement, comment pourrait-il en être autrement d’une chanson dont les paroles incluent « you're spending money like you're on death row ». Une convaincante mise en application du motto de Smith : « genre is obsolete » !
27 mai : pas de commentaire sur cette soirée où l’équipe de reportage de Scala Tympani n’était pas présente.
28 mai : un samedi bien rempli avec :
Une conférence de Philippe Robert… pas entendue (dommage). Aki Onda qui bricole des climats fragiles et oniriques et semble fouiller dans ses propres souvenirs avec pour seuls moyens un walk-man, cinq cassettes et un mixeur rudimentaire. La performance est suivie par une autre d’Anne-Laure Pigache (voix), pas vue non plus pour des raisons pratiques...
K Mical (action, voix, mélodica) & A Qui avec Gabriel (accordéon, voix). Figure de la jeune génération de l’underground japonais, K Mical (de son vrai nom Michiko Takahachi) s’est illustrée aux côtés du saxophoniste Tamio Shiraishi ou au sein du collectif new-yorkais No Neck Blues Band. Adepte de la théâtralité, elle entame sa performance au milieu du public où elle se déploie selon des trajectoires hasardeuses, transe hallucinée sur fond de drone oppressant avec, en prime, projection de grelots, de tubes de carillon et autres maracas sur les murs. Elle rejoint sur scène A Qui, beaucoup moins extravertie derrière son accordéon qui semble immense (le fameux « Gabriel »), pour une suite d’improvisations douces-amères où s’entremêlent incantations naïves, ombres spectrales et mélodies aux accents parfois médiévaux.
Talweg, un duo assénant un doom metal des plus dépouillés et bordant sur le psychédélisme cathartique. Porté uniquement par les vociférations possédées de Joëlle Vinciarelli -qui évoque simultanément Lydia Lunch, Junko et Stefania Pedretti- et la frappe lourde d’Eric Lombaert qui ne ménage pas ses fûts, le set est intense. Les hauts murs de béton et les carcasses de machines de forage servent de caisse de résonance aux martèlements des blast beats et à la furie des grondements ténébreux. Une belle énergie très bien servie par son environnement.
Strotter Inst. (projet solo de Christoph Hess que l’on retrouve aussi au sein des combos Herpes Ö DeLuxe et Sum of R), un artiste sonore utilisant platines et disques préparés pour distiller des atmosphères lancinantes dont l’esthétique industrielle prend tout son sens au musée de la mine. Pas mal de style chez l’Helvète qui prend soin d’enfiler sa chemise-cravate de scène tout en entamant son show. Trois platines Lenco tournent simultanément, tantôt vides tantôt recouvertes de vinyles fragmentés, agrémentés de parties saillantes sur lesquelles viennent buter des têtes de lectures maintenues à des hauteurs variables par un dispositif modulable de fils élastiques. Assez captivant et très applaudi.
Fin de soirée sur une note légère avec une rencontre entre Tomoko Sauvage (bols en porcelaine, eau et micros hydrophoniques) et Nicolas Lelièvre (percussions). Tintements cristallins et effleurements vibratiles se dissipent dans l’air avec indolence ou ruissellent sereinement pour un résultat peut-être un peu trop confortable pour certaines oreilles...
29 mai : clôture du festival avec :
Benjamin Duboc (contrebasse) et Didier Lasserre (percussions) pour une musique improvisée tout en fluidité et en retenue. Lasserre utilise un set de batterie réduit (une caisse claire et deux cymbales) et un assortiment d’objets qu’il manipule avec précaution. Le geste est aussi mesuré chez Duboc qui caresse autant le bois que les cordes de son instrument. Une musique fusionnelle, délicate et très lisible.
Mat Pogo (performance vocale, lecteur CD) et Ignaz Schick (platines et objets), un excellent duo issu de la foisonnante scène berlinoise qui balance un flot hyperactif où cut-ups, stridences et jeu de matières occupent tout l’espace à chaque instant. Pour évoquer l’attirail de Schick, il faudrait plutôt parler de surfaces rotatives sur lesquelles il frotte des tiges métalliques, écrase des blocs de polystyrène, meule des barquettes en aluminium. Les dérapages se succèdent à vive allure mais le crash est toujours évité. Visiblement très à l’aise dans la confusion, Pogo fait dans l'expressionnisme intégral en évitant soigneusement la caricature, gesticule autant qu’il baragouine et se transforme en polyglotte dadaïste, en prophète de l’Apocalypse ou en personnage déjanté de Tex Avery qui arrache facilement quelques sourires. Un set dynamique et enthousiasmant qui restera sans nul doute l’un des plus marquants du festival !
Un point d’orgue de choix avec la venue de Fred Frith (poids lourd des musiques de traverse depuis quatre décennies) en duo avec Paolo Angeli (guitare sarde préparée : un instrument traditionnel étonnamment customisé). Beaucoup de cordes pour cette énième rencontre entre les deux hommes qui dépasse la confrontation entre le maître et son disciple pour atteindre des sommets de complicité et de virtuosité (presque trop parfois) et pour séduire sans forcer un public conquis dès la première seconde.
Un grand merci aux organisateurs dévoués du festival, Bruno Meillier en tête, pour mettre autant d’énergie dans la diffusion de ces musiques passionnantes : une mission dont le caractère militant semble devoir s’affirmer plus que jamais en ces temps de récession culturelle ! Pour cette raison, et pour d’autres, on scrutera l’horizon mai 2012 avec un intérêt tout particulier…
~jcg
Loin des ambitions mondialistes et de l’actualité brûlante de son homonyme siégeant à Washington DC, le FMI qui s’empare du très beau site Couriot (un ancien puits minier reconverti en musée) fait quand même la part belle au multilatéralisme. Le millésime 2011 en apporta la preuve avec une oreille tendue tout particulièrement vers le Japon mais aussi vers les percussions bien d’chez nous, le platinisme expérimental d’Europe centrale ou les performances vocales hors-frontières. Retour rapide (sans le son mais avec l’image) sur quelques moments mémorables…
26 mai : ouverture du festival par Super Jean-François Plomb, héros local dont les machines sonores portatives se révèlent pleines de ressources. Quelques valises, des petits moteurs électriques, des roues qui tournent, des débris métalliques, un assortiment digne d’un vide-grenier : rien ne manque à ce concerto pour ressort et bobines aux résonances de sanza mécanique et de bruitisme de chambre.
Très attendu, le singulier duo formé par Tom Smith (anti-rock star, poète maudit, cerveau malade de TLASILA) et Kevin Drumm (icône de l’électronique radical) tient toutes ses promesses. D’un charisme débordant, Smith la joue dandy voluptueux, divague à l’envi, délivre des mots avec une sincérité absolue, se contorsionne pour une syllabe et meurt sur scène plusieurs fois par chanson. Drumm fournit la texture sonore, discrètement abrasive ou lacérée de fulgurances, et parasite malicieusement les élucubrations de son complice. Oscillant entre cabaret minimaliste et perte d’équilibre contrôlée, la performance s’achève sur une reprise assez improbable (et non parodique) de « Lipstick » de Jedward, le duo qui représentait l’Irlande au dernier concours de l’Eurovision. « It’s a great song really, you know! » confie Smith et, effectivement, comment pourrait-il en être autrement d’une chanson dont les paroles incluent « you're spending money like you're on death row ». Une convaincante mise en application du motto de Smith : « genre is obsolete » !
27 mai : pas de commentaire sur cette soirée où l’équipe de reportage de Scala Tympani n’était pas présente.
28 mai : un samedi bien rempli avec :
Une conférence de Philippe Robert… pas entendue (dommage). Aki Onda qui bricole des climats fragiles et oniriques et semble fouiller dans ses propres souvenirs avec pour seuls moyens un walk-man, cinq cassettes et un mixeur rudimentaire. La performance est suivie par une autre d’Anne-Laure Pigache (voix), pas vue non plus pour des raisons pratiques...
K Mical (action, voix, mélodica) & A Qui avec Gabriel (accordéon, voix). Figure de la jeune génération de l’underground japonais, K Mical (de son vrai nom Michiko Takahachi) s’est illustrée aux côtés du saxophoniste Tamio Shiraishi ou au sein du collectif new-yorkais No Neck Blues Band. Adepte de la théâtralité, elle entame sa performance au milieu du public où elle se déploie selon des trajectoires hasardeuses, transe hallucinée sur fond de drone oppressant avec, en prime, projection de grelots, de tubes de carillon et autres maracas sur les murs. Elle rejoint sur scène A Qui, beaucoup moins extravertie derrière son accordéon qui semble immense (le fameux « Gabriel »), pour une suite d’improvisations douces-amères où s’entremêlent incantations naïves, ombres spectrales et mélodies aux accents parfois médiévaux.
Talweg, un duo assénant un doom metal des plus dépouillés et bordant sur le psychédélisme cathartique. Porté uniquement par les vociférations possédées de Joëlle Vinciarelli -qui évoque simultanément Lydia Lunch, Junko et Stefania Pedretti- et la frappe lourde d’Eric Lombaert qui ne ménage pas ses fûts, le set est intense. Les hauts murs de béton et les carcasses de machines de forage servent de caisse de résonance aux martèlements des blast beats et à la furie des grondements ténébreux. Une belle énergie très bien servie par son environnement.
Strotter Inst. (projet solo de Christoph Hess que l’on retrouve aussi au sein des combos Herpes Ö DeLuxe et Sum of R), un artiste sonore utilisant platines et disques préparés pour distiller des atmosphères lancinantes dont l’esthétique industrielle prend tout son sens au musée de la mine. Pas mal de style chez l’Helvète qui prend soin d’enfiler sa chemise-cravate de scène tout en entamant son show. Trois platines Lenco tournent simultanément, tantôt vides tantôt recouvertes de vinyles fragmentés, agrémentés de parties saillantes sur lesquelles viennent buter des têtes de lectures maintenues à des hauteurs variables par un dispositif modulable de fils élastiques. Assez captivant et très applaudi.
Fin de soirée sur une note légère avec une rencontre entre Tomoko Sauvage (bols en porcelaine, eau et micros hydrophoniques) et Nicolas Lelièvre (percussions). Tintements cristallins et effleurements vibratiles se dissipent dans l’air avec indolence ou ruissellent sereinement pour un résultat peut-être un peu trop confortable pour certaines oreilles...
29 mai : clôture du festival avec :
Benjamin Duboc (contrebasse) et Didier Lasserre (percussions) pour une musique improvisée tout en fluidité et en retenue. Lasserre utilise un set de batterie réduit (une caisse claire et deux cymbales) et un assortiment d’objets qu’il manipule avec précaution. Le geste est aussi mesuré chez Duboc qui caresse autant le bois que les cordes de son instrument. Une musique fusionnelle, délicate et très lisible.
Mat Pogo (performance vocale, lecteur CD) et Ignaz Schick (platines et objets), un excellent duo issu de la foisonnante scène berlinoise qui balance un flot hyperactif où cut-ups, stridences et jeu de matières occupent tout l’espace à chaque instant. Pour évoquer l’attirail de Schick, il faudrait plutôt parler de surfaces rotatives sur lesquelles il frotte des tiges métalliques, écrase des blocs de polystyrène, meule des barquettes en aluminium. Les dérapages se succèdent à vive allure mais le crash est toujours évité. Visiblement très à l’aise dans la confusion, Pogo fait dans l'expressionnisme intégral en évitant soigneusement la caricature, gesticule autant qu’il baragouine et se transforme en polyglotte dadaïste, en prophète de l’Apocalypse ou en personnage déjanté de Tex Avery qui arrache facilement quelques sourires. Un set dynamique et enthousiasmant qui restera sans nul doute l’un des plus marquants du festival !
Un point d’orgue de choix avec la venue de Fred Frith (poids lourd des musiques de traverse depuis quatre décennies) en duo avec Paolo Angeli (guitare sarde préparée : un instrument traditionnel étonnamment customisé). Beaucoup de cordes pour cette énième rencontre entre les deux hommes qui dépasse la confrontation entre le maître et son disciple pour atteindre des sommets de complicité et de virtuosité (presque trop parfois) et pour séduire sans forcer un public conquis dès la première seconde.
Un grand merci aux organisateurs dévoués du festival, Bruno Meillier en tête, pour mettre autant d’énergie dans la diffusion de ces musiques passionnantes : une mission dont le caractère militant semble devoir s’affirmer plus que jamais en ces temps de récession culturelle ! Pour cette raison, et pour d’autres, on scrutera l’horizon mai 2012 avec un intérêt tout particulier…
~jcg